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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/774

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religieux ? Qui ne voit que la messe du prêtre institué par l’état sera toujours déserte ? Les croyans la fuiront, les libres penseurs ne s’y rendront pas. On ne conçoit pas comment des politiques aussi pénétrans que ceux qui dirigent les affaires de la Prusse ont pu commettre une pareille faute. En un sens, Louis XIV, dans ses mesures les plus blâmables contre les protestans, n’alla pas aussi loin. Il fut dur, cruel ; mais, si ce n’est dans des cas rares, il n’essaya pas de régenter les consistoires, de peser sur le choix des ministres, de maintenir à leur poste des théologiens protestans qui seraient passés à l’église romaine. Il est évident que, pour les choses religieuses, surtout pour ce qui concerne le catholicisme, les hommes d’état prussiens n’ont pas la même pénétration, la même solidité de renseignemens que pour les affaires diplomatiques et militaires. Il s’agit ici d’un ordre de choses qui leur est étranger. L’église est une femme, il faut la traiter comme telle ; la prendre par le bras et la secouer rudement n’est pas le moyen d’avoir raison d’elle.

Sur deux points essentiels en effet, M. de Bismarck paraît s’être trompé dans ses prévisions : d’abord il s’est certainement exagéré l’extension que le mouvement vieux-catholique était destiné à prendre ; en second lieu, il semble n’avoir pas bien calculé le degré de résistance que les catholiques romains devaient offrir. M. de Bismarck s’était figuré que le mouvement d’opposition au dogme de l’infaillibilité entraînerait la masse des catholiques allemands, si bien que la dénomination de catholique, aux yeux de l’état, changerait d’acception et passerait aux anti-infaillibilistes, les ultramontains fidèles n’étant dès lors que des dissidens plus ou moins tolérés. Cette circonstance que pas un seul évêque n’osa se mettre en schisme après la proclamation du dogme aurait pourtant dû l’éclairer. Un mouvement dans la catholicité qui s’opère sans l’épiscopat demeure toujours très borné. Le fait est que le schisme des vieux-catholiques, bien que sérieux, est resté jusqu’ici une manifestation de second ordre, importante par la science et le caractère de ceux qui s’y sont compromis, mais limitée quant au nombre des adhérens. La petite église compte dans son sein des professeurs, des docteurs, des prêtres, des personnes appartenant à la haute bourgeoisie ; le peuple n’y vient guère, et une église n’existe pas sans peuple. Je vois dans l’église nouvelle beaucoup de pasteurs, mais un faible troupeau, beaucoup de science du droit canonique, des discussions solides, mais peu de baptêmes, peu d’enterremens, peu de mariages. Or qu’est-ce qu’une église qui ne baptise pas, n’enterre pas, ne marie pas ? Le mouvement vieux-catholique durera, il n’aura pas été une tentative éphémère ; il ne décidera pas cependant, ce me semble, de l’avenir du catholicisme allemand. À part son obstination à garder une dé-