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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/885

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sur l’ascendant moral que lui donnaient ses premiers succès, et le 14 août il se mit en marche sur Andrinople. Le 19, les débris de tous les corps débandés qui s’étaient rassemblés dans cette capitale déposaient les armes. Pour aller frapper l’empire au cœur, Diebitsch n’avait plus devant lui d’autre obstacle que les murailles de Constantinople. Moustapha-Pacha amenait, il est vrai, en ce moment de Scutari 40 000 Albanais. Était-ce bien là une force capable d’arrêter dans leur élan des troupes régulières et surtout des troupes victorieuses ? On l’a pensé, on l’a dit ; on a prétendu que l’Europe s’était alarmée trop tôt et que son intervention n’avait fait que préserver la Russie d’un échec dont le prestige de cette puissance ne se serait pas relevé. La chose me paraît au moins douteuse, et je pencherais à croire que les ambassadeurs qui en cette crise pressante interposèrent entre le sultan et le général Diebitsch leurs bons offices méritèrent la reconnaissance du grand-seigneur bien plutôt que celle du tsar. Comme on l’a très judicieusement fait observer, le peuple turc semblait frappé de paralysie. En admettant que sa fureur se fût soudainement éveillée, ne se serait-elle tournée que contre l’ennemi extérieur ? Le vieil esprit des janissaires venant à renaître n’aurait pas sauvé la Turquie ; il aurait perdu le sultan et fait reculer la civilisation. La Porte céda la première aux instances des ambassadeurs ; elle se déclara vaincue et prête à signer la paix. Le 9 septembre, les propositions des représentans des puissances occidentales furent acceptées par le général Diebitsch. La Porte s’engageait avant tout à se soumettre sans restriction, dans la question grecque, aux résolutions de la conférence de Londres. La paix fut signée à Andrinople le 14 septembre 1829.

Le traité imposé à la Porte ne respecta pas complétement l’intégrité de son territoire, il fut loin de lui infliger cependant un dommage en rapport avec l’immense gravité de sa défaite. La frontière russe fut reculée en Europe jusqu’au bras du Danube appelé le bras de Saint-George ; elle s’étendait précédemment à l’embranchement connu sous le nom de bouche de Kilia. Ibrahilow, déjà démantelée par les Russes, et Giurgewo, encore au pouvoir des Turcs, furent réunies aux deux principautés roumaines. De nouveaux priviléges améliorèrent la situation politique de ces provinces ; le plus important fut le pouvoir à vie concédé aux hospodars. Sur la Mer-Noire et en Asie, la Russie acquit Anapa, Poti et toute une ligne tirée du fort Saint-Nicolas au point de réunion des pachaliks d’Akalzick et de Kars avec la Géorgie. Indépendamment de ces sacrifices de territoire, la Porte dut s’engager à payer au tsar 1 500 000 ducats de Hollande à titre d’indemnités commerciales et 10 millions de ducats pour les frais de la guerre. Le libre passage des détroits fut stipulé