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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/919

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n’est jamais si près de devenir méchant que lorsque sa bonté absolue est posée en dogme, barbare que quand la civilisation est supposée toucher à son apogée. Voilà déjà une part faite à notre responsabilité dans les erreurs du temps ; seulement il ne faudrait pas que ces réserves allassent aboutir à un pessimisme faux et dangereux aussi, qui déclarerait qu’il n’y a qu’à se voiler la face et à désespérer de l’avenir. Non, ce n’est pas là le genre d’avertissement qui ressort de l’expérience de la commune, et elle nous en donne un d’un genre tout contraire. Elle nous enseigne que ce mot même de barbares à l’intérieur, si tristement justifié, ne doit être ni un cri de haine, ni seulement une raison de défiance, qu’il doit être un engagement à faire effort pour civiliser ceux auxquels ce nom s’applique, sans les dispenser toutefois eux-mêmes de concourir à cette œuvre. Elle les regarde plus que personne. À eux d’y contribuer par leur énergie personnelle et en se prêtant aux secours que leur offre une société animée à leur égard des sentimens de la plus bienveillante justice et de la meilleure volonté.

Au fond, malgré ses apparences d’individualisme, la commune n’a fait que mettre en relief une autre erreur des masses, fomentée par ceux qu’elle accepte pour professeurs, l’erreur qui consiste à croire que la solution de ce qu’on appelle le problème social peut être demandée à des coups de force et à des organisations factices. Ici encore, il serait difficile de nous exonérer entièrement d’une part de responsabilité. Sommes-nous donc pour rien dans cette habitude de tout demander à l’état, de tout attendre des constitutions et de combinaisons mécaniques ? Ne faisons-nous pas aussi remonter tout mal aux gouvernemens, ce qui est la même chose que de croire qu’ils peuvent procurer tous les biens ? Nous oublions trop qu’aujourd’hui c’est la société qui fait les gouvernemens eux-mêmes ce qu’ils sont, bien plus qu’il ne leur est donné de faire passer en elle ce fonds d’idées et de mœurs sur lequel tout repose en définitive. Nulle réforme sociale dans l’état des classes inférieures qui ne suppose celle de nos idées fausses et de nos mauvaises habitudes. C’est aux classes éclairées de donner l’exemple, à nous dès aujourd’hui de nous demander si nos malheurs nous ont rendus plus sérieux, plus virils, plus corrigés des erreurs et des défauts qui trop facilement font école dans ces masses où tout s’exagère. De tous les moyens qu’on propose pour éviter de nouvelles communes, celui-ci, qu’on le sache, est le seul qui puisse communiquer aux autres une réelle efficacité.

Henri Baudrillart.