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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/159

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le succès ne semblait pas durable, les généraux du tsar prirent une attitude hostile aux Tounganes. Ils y trouvèrent leur profit, — car, après de petits conflits sans doute, ils viennent de s’attribuer la ville de Kouldja, ancienne capitale de la province, située dans la fertile vallée de l’Ili, où passera le chemin de fer transasiatique, si jamais on en établit un.

Quant au nouvel émir de Kachgar, le gouverneur-général du Turkestan russe ne pouvait le traiter longtemps en ennemi, puisque le pays était pacifié, et qu’il y a des relations de commerce nécessaires entre les pays situés sur les deux versans des monts Thian-Shan. Cependant il semble que Mohammed-Yacoub se défie des Russes ; est-ce par souvenir des luttes que, étant jeune, il a soutenues contre eux dans la vallée du Syr-Daria ? Il a bien fini par concéder aux marchands de Vernoë et de Tachkend le droit de séjourner dans ses états, il a réduit à 2 1/2 pour 100, taux ordinaire en ces contrées, les droits de douane que paieront les marchandises russes ; mais il entend sans doute ne pas devenir un vassal du tsar, comme les khans de la Transoxiane, et cela suffit à justifier ses défiances.

Plus à l’Orient, entre l’extrémité des monts Thian-Shan et le Pacifique, les Russes, sans avoir fait autant de progrès, ne sont pas du moins restés stationnaires. Au centre du désert de Gobi, ils ont un consul à Ourga ; leurs explorateurs tracent de nouvelles routes, dressent la carte du pays, s’assurent l’amitié des indigènes. En Mandchourie, ils se sont fait donner par l’empereur de la Chine un immense territoire sur la rive droite de l’Amour. Le point saillant de leur politique d’une incontestable habileté est de se maintenir toujours en bons termes avec les mandarins de Pékin. Que l’empire chinois se démembre, ils sont en situation d’en prendre un morceau à leur convenance ; qu’il se consolide, ils seront ses plus fidèles alliés entre toutes les nations européennes.

En résumé, de la Caspienne au Pacifique, entre les 35e et 50e degrés de latitude, s’étale un quart de la circonférence du globe où le gouvernement russe travaille avec succès à établir sa prépondérance. Quoique cette zone, dont le climat convient fort bien au tempérament européen, soit en général peu fertile et que la population y ait maintenant une faible densité, c’est de là que sont sorties les grandes migrations de peuples par lesquelles l’Inde, l’Asie occidentale et l’Europe ont été bouleversées. N’est-ce pas une raison suffisante pour qu’elle joue encore une fois un rôle considérable dans l’histoire du monde ? Une fois la paix rétablie, ce qui manquera le plus, ce seront les voies de communication. En l’état présent, les voyages n’ont lieu que par caravanes. De Kachgar, qui est un point central, à Pékin, à Orenbourg, à la Caspienne, les marchands restent