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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/162

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abondent et offrent un précieux contingent à cette étude. C’est un élément qui doit compter dans l’élaboration qui se poursuit, et lorsque la magistrature elle-même a tenu à formuler son avis sur les prétendus droits de la guerre dans des débats récens on doit être convaincu que le moment est venu de prendre un parti sur ces grands problèmes ou tout au moins d’arrêter certaines bases sur lesquelles il soit permis un jour d’élever cette codification internationale que la sagesse commande, mais que la passion de la guerre, si difficile à contenir, s’est toujours plu à entraver.


I.

En un pareil sujet, on serait déconcerté dès le premier pas, s’il était acquis sans réserves que la guerre est dans nos instincts, dans notre sang, pour ainsi dire, et qu’elle constitue comme une des lois de notre destinée. Elle a semé tant de calamités, elle a si souvent et si profondément déchiré le cœur des populations en bouleversant la raison, qu’on s’est demandé en effet si par nous-mêmes nous ne serions pas impuissans à la conjurer. Ce duel entre les nations, où des deux côtés le fait brutal et le droit absolu ont la singulière prétention de se confondre, aurait-il vraiment d’autres caractères que le duel entre les citoyens eux-mêmes ? Il soulève les mêmes objections et provoque à peu près les mêmes réponses, — et la question du duel est loin d’être résolue. Vainement est-il proscrit et frappé de peines : l’orgueil, la dignité, le point d’honneur, bravent les défenses. En préparant nos codes au commencement du siècle, Cambacérès disait : « Comme il y aura toujours des procès, comme ils sont aussi inévitables que la guerre, il s’agit de les réglementer par une bonne procédure. » C’était facile à faire après la suppression des combats singuliers et des épreuves judiciaires, où la force avait encore une si large place ; malheureusement la guerre n’est point abolie. Tend-elle du moins à disparaître ? En l’affirmant, la civilisation serait heureuse d’être moins souvent démentie. Si, de la cabane où elle surgit pour un vil intérêt, la lutte passa aux peuplades, où elle s’engagea pour une liberté, pour une religion, sous la forme de querelles intestines, si les mœurs et le christianisme mirent fin à ces grands pugilats livrés sur les frontières de la tribu, et si de nos jours il n’a fallu rien moins que la question de l’esclavage pour allumer la guerre de la sécession entre les différens états de l’Amérique, la guerre internationale est toujours là et subsiste, plus expéditive dans ses procédés peut-être, mais non moins destructive dans ses effets. Après d’heureuses intermittences sous les gouvernemens de la restauration et de 1830, elle a sévi de nouveau dans ces vingt dernières années, et demeure pour les différens peuples de l’Europe