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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/235

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La politique, il est vrai, la politique et la guerre elle-même se ressentent inévitablement de la différence des institutions, du caractère national et des mœurs. Chaque peuple met son génie dans la direction de ses affaires, dans l’organisation de ses forces, et, on pourrait le dire, jusque dans sa stratégie. Il y a malheureusement un point où il n’y a plus aucune différence. Partout, en Amérique comme en Europe, la guerre est toujours la guerre ; elle se manifeste par les mêmes désastres, elle offre les mêmes spectacles de misère et de deuil ; elle laisse après elle les morts, les blessés, les maisons en flammes, les villes détruites, les terres ravagées. Pour les chefs d’armées, pour les politiques, ces malheurs privés disparaissent le plus souvent dans les résultats d’une bataille gagnée, d’une campagne victorieusement conduite. Ils ne forment pas moins, à côté de la grande histoire qui raconte les événemens publics, une autre histoire plus intime, dramatique, profondément émouvante. C’est ce drame intime, inconnu, des misères de la dernière guerre de France, qui se trouve retracé avec une sincérité absolue, avec une simplicité pathétique, dans un livre, — Épreuves et luttes d’un volontaire neutre, — écrit par M. John Furley, et récemment traduit par Mme E. de Villers. M. Furley est un de ces Anglais dévoués qui accouraient en France dès le mois d’août 1870, et qui, à partir de ce moment, n’avaient d’autre pensée que d’adoucir les maux de la guerre, de soulager toutes les infortunes. Il était membre de la « Société nationale britannique pour le secours des malades et des blessés de la guerre ; » il a présidé la « Société de distribution de semences aux fermiers français ; » il a été de toutes les associations secourables. S’il a été justement honoré après la guerre par le gouvernement français, on peut dire qu’il avait été à la peine. Pendant neuf mois, M. John Furley brave les fatigues, les souffrances, les dangers, sans se reposer un instant. Il est à Gravelotte, il accourt à Sedan, il va sur la Loire, à Orléans, à Tours, au Mans, il est à Versailles, autour de Paris, souvent dans Paris au moment de la commune ; partout il arrive avec ses voitures, avec des vêtemens, des médicamens, des vivres. « Il n’y a que M. Furley qui puisse aller partout sans laisser-passer, » dit un général allemand, et en effet il ne se laisse arrêter ni déconcerter par rien, allant plus d’une fois bravement remplir sa mission jusque sous le feu du champ de bataille. Au milieu des horreurs de la guerre, ce vaillant homme représente l’humanité bienfaisante éclairant de sa lumière ces luttes sanglantes, et la chaleur du dévoûment n’exclut chez lui ni la sagacité de l’observation ni la bonne humeur.

Ce livre des Épreuves d’un volontaire neutre est le reflet de cette existence si utile, si accidentée, promenée pendant neuf mois partout où la guerre fait des victimes ; c’est l’œuvre d’un des esprits les plus honnêtes, les plus sincères, qui raconte ce qu’il a vu, simplement, sans prétention, et qui, en restant dans son rôle de neutralité, ne craint pas