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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/313

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leur propre substance ; ils ne perdent qu’une chose impondérable, la chaleur dégagée au moment de la combinaison. De là cette conception de Lavoisier, qu’un corps simple tel que l’oxygène est constitué, à proprement parler, par l’union intime de la matière pondérable oxygène avec le fluide impondérable qui constitue le principe de la chaleur et qu’il nommait calorique, conception profonde que la science moderne a adoptée en lui donnant une forme différente. C’est donc à tort que dans ces derniers temps on a accusé Lavoisier d’avoir méconnu ce qu’il y a de physique dans le phénomène de la combustion, et qu’on a essayé de réhabiliter la doctrine du phlogistique, qu’il a eu la gloire de renverser. Il est vrai qu’en brûlant les corps perdent quelque chose : c’est le principe combustible, disaient les partisans du phlogistique ; c’est du calorique, dit Lavoisier, et il ajoute, chose essentielle, qu’ils gagnent de l’oxygène. Ainsi Lavoisier a vu tout entier le phénomène dont le grand auteur de la théorie du phlogistique, G.-E. Stahl, n’avait entrevu que les apparences extérieures et dont il avait méconnu le trait caractéristique. Voilà le fondement et, je le maintiens, l’origine de la chimie moderne. »

À lire ce commentaire si savant et si clair, on comprend qu’en face de la mort Lavoisier n’ait pas été détourné de l’étude de tels problèmes, et l’on s’explique que pour les mieux démontrer il ait, au moment fatal, demandé quelques heures de patience au bourreau ; mais ce qu’il avait semé était du grain choisi et tombé en bonne terre. Berzélius le reprit pour en tirer tous les développemens qui y étaient en germe, entre autres les affinités chimiques et l’attraction élective. Dalton y ajouta à son tour une hypothèse nouvelle des atomes qui donnait à la chimie un fondement solide, en administrant la preuve de l’immutabilité des proportions suivant lesquelles les corps s’unissent entre eux. Chaque découverte apportait ainsi un élément de plus à la conception initiale de Lavoisier et confirmait sa méthode. Sa mémoire est déjà bien vengée, et plus la science élargira son domaine, plus il en rejaillira d’honneur sur celui qui en a rempli la tâche la plus difficile, celle des commencemens, et de malédictions sur cette poignée de bandits qui ont pu, à la honte des contemporains, trancher avant l’heure cette si précieuse existence. On n’a recueilli d’ailleurs sur un supplice fait en masse et avec une hâte brutale aucun détail qui fût particulier à Lavoisier. La veille pourtant, les professeurs du Lycée des Arts, dont il était le collègue, avaient pu pénétrer dans son cachot pour y déposer une couronne, et Hallé, l’un d’eux, par un courage bien rare alors, avait osé, quelques jours auparavant, faire une leçon publique sur ses travaux. Dans ce désarroi général, les savans du moins lui étaient restés fidèles jusqu’au bout.