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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/391

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face à face des autoritaires et des révolutionnaires, des ultramontains et des athées, des écoles cherchant à baser l’ordre sur le renoncement qui engendre le servilisme et l’instinct de domination, des groupes animés de volontés différentes et ne songeant qu’à décréter, chacun d’après ses volontés à lui, le résultat où tous les autres doivent être conduits malgré leurs volontés, et sans doute au milieu de ces armées en lutte il n’y aurait qu’une imperceptible minorité pour entrevoir que le seul moyen efficace de mener les hommes aux bons résultats consiste à former chez eux les bons sentimens d’où résultent les volontés qui vont d’elles-mêmes à ces résultats.

Il faudrait cependant ne pas nous griser d’un mot. Derrière la rhétorique de nos espérances, il reste un fait inébranlable : c’est qu’un organisme quelconque, organisme collectif ou individuel, ne saurait exister sans une force qui oblige les parties à une action commune. Un autre fait qui me semble également perpétuel, c’est qu’une masse de personnalités différentes ne peuvent être amenées à former une société qu’en étant toutes soumises à une même pression physique ou morale, à celle d’une loi qui dicte un système de conduite que tous doivent suivre malgré la divergence de leurs volontés, ou à celle d’une éducation qui, en donnant à tous une même conception, les amène, malgré la différence de leur tempérament, à reconnaître un même système d’obligations. Vouloir supprimer du même coup la loi qui commande et la discipline morale qui forme les caractères, c’est demander le chaos. — Je ne dis pas précisément qu’il n’y aura jamais de société sans gouvernement et sans éducation commune, — car les institutions créent des formes d’esprit qui peuvent les rendre un jour superflues ; — ce que je dis, c’est que certainement nous nous faisons illusion en supposant que, là où les esprits sont en conflit, il suffit, pour les mettre d’accord, de leur donner pleine liberté de propager leurs tendances antagonistes, et d’organiser, l’une en face de l’autre, des armées permanentes. À quoi j’ajouterai encore ceci, que nous ne nous leurrons pas moins en espérant qu’un système d’instruction scientifique pourra nous protéger contre le danger des mauvaises éducations religieuses. En réalité, l’ensemble de nos connaissances pratiques n’est pas ce qui détermine les mobiles d’où procèdent nos volontés ; si notre science peut les modifier, c’est seulement en tant qu’elle contribue à modifier notre sentiment permanent du nécessaire et de l’obligatoire.

La grande lacune de l’esprit contemporain, à mon sens, c’est son incapacité de sentir le rôle social des religions ; ceux même qui les respectent le plus me paraissent à peine entrevoir ce rôle. Les uns