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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/402

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suber, Gay). Que de progrès dans cette voie accomplis dans l’espace d’un demi-siècle, et combien les botanistes de nos jours sont loin de l’époque où l’on se croyait très fort parce que, trouvant une ronce dans une haie, on la déterminait, sans souci de ses caractères, rubus fruticosus de Linné !

Ce progrès que nous venons de constater, M. Alexis Jordan ne l’ignore pas, et ne songe pas, je suppose, à le nier. Il en est lui-même un des auteurs, et nos flores lui devront assurément un grand nombre de notions précises sur des espèces excellentes qu’il a eu le mérite de mettre en lumière, en les retirant du chaos des espèces collectives de l’ancienne école linnéenne. Et pourtant ce progrès ne suffit pas à M. Jordan. Pour lui, c’est toujours l’école linnéenne continuée, c’est toujours la méthode qu’il appelle d’intuition appliquée à la distinction des espèces, — intuition, c’est-à-dire tact personnel, appréciation individuelle de la valeur des caractères, en définitive arbitraire, caprice, incertitude, absence de règle fixe et partant d’autorité scientifique. Pour formuler un tel reproche contre la presque totalité des botanistes, il faut que M. Jordan ait une règle bien sûre, une norme infaillible : cette règle, il croit l’avoir en effet ; il la pose, il la défend, il compte bien l’appliquer ou la faire appliquer à toutes les flores, dût l’œuvre entière de la botanique descriptive être reprise dans ses fondemens, dût telle plantule vulgaire que nous appelions en bloc draba ou erophila verna se scinder dans les flores de l’avenir en deux cents espèces ayant chacune son signalement et son nom. C’est le moment d’entrer dans le vif de la discussion de ce système : jusqu’ici nous n’avons vu qu’un progrès, voyons ce que serait la révolution,


II.

Toutes les formes végétales qui se perpétuent, semblables à elles-mêmes, par des semis successifs, sont et doivent se nommer des espèces ; telle est la formule inflexible dans laquelle M. Jordan enferme l’idée-mère de sa théorie. Toutes les espèces sont primordiales, immuables, irréductibles ; elles se propagent indéfiniment les unes à côté des autres, sans perdre leur autonomie, en donnant tout au plus des hybrides que leur stérilité laissera sans descendans : voilà d’autres points de doctrine qui se rattachent à la donnée principale. On le voit, l’idée de race, c’est-à-dire de variété, se propageant par génération avec une fixité relative de caractères, cette idée n’entre pas dans le système jordanien. Tout devient espèce, pourvu que la ressemblance se conserve par l’hérédité. Il y a là un premier point de fait à établir pour être fixé sur la valeur