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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/418

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tout d’une pièce de son pédoncule et, s’enfonçant dans le sol par sa base amincie en pointe dure, germe sous l’influence des pluies d’automne, pour fleurir dans le cours de l’été suivant. Ainsi deux formes très distinctes d’œgilops, l’une ovata, l’autre triticoïde, avaient pu naître de deux graines mûries sur le même épi avec lequel leur continuité n’était pas douteuse.

Cherchant avec acharnement chez l’œgilops triticoïde des graines que sa stérilité lui refuse presque toujours. Esprit Fabre finit par en trouver un très petit nombre, encore étaient-elles ridées et en apparence imparfaites. Il les sema néanmoins à l’automne de 1838 ; mûres en juillet 1839, les plantes de ce premier semis se rapprochèrent du blé dit touzelle par leur apparence générale, leur haute taille (70 à 80 centimètres), et la réduction à deux (presque à une) des arêtes de leurs glumes ; mais les épis demeurèrent cassans à leur base, comme chez les œgilops (on sait qu’ils tiennent au chaume dans les fromens), et les graines, très rares encore, ne dépassèrent pas cinq pour une de semée. Sept années de culture successive dans l’enceinte d’un jardin modifièrent graduellement, en la rapprochant de plus en plus du froment touzelle, les dimensions, les caractères, et surtout la fertilité de la plante en expérience. Bientôt ces caractères semblèrent fixés, et, sauf la désarticulation de l’épi, qui persista chez la plupart des pieds. Esprit Fabre put se faire l’illusion qu’il avait tiré de l’œgilops ovata, par le simple perfectionnement dû à la culture, un blé véritable, un vrai froment, qui, cultivé en plein champ pendant quatre années consécutives, avait conservé sa forme et donné des récoltes semblables à celles des autres blés du pays. Telle fut aussi la conclusion de notre vénéré maître Dunal. Il n’hésita pas à voir dans les œgilops les ancêtres sauvages des blés cultivés, et fit honneur au modeste jardinier d’Agde de la solution d’un problème que les anciens n’avaient fait que pressentir.

Et pourtant, si les observations de Fabre étaient d’une rigoureuse exactitude, l’interprétation n’en était pas moins erronée : c’est ce que démontrèrent bientôt des observations nouvelles de M. Godron. Frappé de ce fait, que les formes triticoïdes d’œgilops, toujours rares et disséminées, se rencontrent exclusivement au bord des champs cultivés en blé l’année précédente, constatant d’ailleurs leur stérilité presque absolue, M. Godron soupçonna là quelque influence d’hybridité. Ce soupçon devint certitude lorsque des fécondations artificielles de l’œgilops par le froment lui ont donné comme produit ce même œgilops triticoïdes[1], qui se révélait ainsi comme

  1. Cette expérience d’hybridation de l’œgilops par le blé fut faite par M. Godron en 1853, et les résultats ont été constatés l’année suivante. Je la répétai avec un succès égal en 185G. M. Groenland, opérant dans les cultures de MM. Vilmorin, obtint également plusieurs hybrides en fécondant divers œgilops par divers triticum (1855-1857). Vers le même temps, M. Regel en Allemagne, M. Henslow à Cambridge, constataient des faits du même genre.