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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/434

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mondaine, et nous choisissons de préférence parmi ses récits ceux où des noms connus viennent s’offrir à notre mémoire.

« J’ai soupé chez mistress Crewe, et j’y ai encore entendu mistress Sheridan et mistress Tickell (sœur de mistress Sheridan), qui ont chanté ensemble plusieurs morceaux… Jamais je n’ai rencontré une personne qui me donnât mieux que mistress Sheridan l’idée d’une muse, d’un ange, de quelque créature surnaturelle, presque céleste, et je ne m’étonne pas que M. Mundy en soit si amoureux. Sheridan, à ce que l’on croit, en a pris quelque ombrage, mais on assure que la conduite de cette dame ne donne lieu à aucun soupçon, à l’égard de M. Mundy, ni de qui que ce soit. Je crois que Mundy doit être bien vu de votre sexe, étant beau et de belle humeur, mais il me semble que, si j’étais femme, je le trouverais peu amusant… Le mauvais côté de ces soupers, c’est qu’ils finissent extrêmement tard, et que je ne suis jamais couché avant deux heures et demie…


« … J’ai traversé le pont pour aller au cirque d’Astley, et, comme ami de la famille, on m’a admis derrière la toile. J’ai soupe ensuite chez Windham avec mistress Siddons, sir Joshua Reynolds, miss Palmer, Dudley Long, un savant, M. Lambton, un critique dramatique, M. Malone, etc. — Mistress Siddons est très belle de près, de la beauté puissante d’une belle Juive ; elle ne parle pas beaucoup, s’exprime avec modestie, mais d’un ton lent, un peu théâtral, et en phrases choisies…

« … J’allai hier au bénéfice de mistress Jordan, avec mistress Robinson. Toute notre société s’était groupée dans le parterre. On jouait As you like it. Mistress Jordan remplit admirablement le rôle de Rosalinde. Je ne me souviens pas d’avoir pris jamais plus de plaisir au théâtre. Kemble jouait aussi très bien le rôle de son amant Orlando. Vous savez comme mistress Jordan est charmante en travesti… »


Sir Gilbert, qui se rend ainsi presque chaque soir au théâtre, transmet à lady Elliot toutes ses impressions, mais nous ne transcrirons plus que ce seul passage, dont le sentiment dénote un juge délicat en matière littéraire.


« … On jouait le Roi Lear. Mistress Siddons est toujours admirable dans Cordelia, digne et intéressante au plus haut degré. Le rôle d’Edgar était parfaitement joué par Wroughton, qui dans quelques scènes avec elle, et particulièrement dans Tom le fou, m’a fait le plus grand plaisir, tandis que Kemble était médiocre, presque mauvais dans le roi Lear ; il en fait un personnage mais ou comique… Il a inventé un costume singulier… qui le fait plutôt ressembler à un sorcier de mascarade qu’au personnage lui-même… Comme il se trouve dans ces vieilles pièces beaucoup d’absurdités et de grossièretés que rachètent seulement la vigueur et l’énergie des caractères et la beauté de l’expression, la faiblesse et l’insuffisance de Kemble à rendre tel qu’il est conçu un de