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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/487

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LES CONSEILS
D’UN CONSTITUANT DE 89
A LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

« C’était peu de jours après le retour de Varennes ;… lorsque j’entrai, la reine dit au jeune dauphin : — Mon fils, connaissez-vous monsieur ? — Non, ma mère, répondit l’enfant. — C’est M. Malouet, reprit la reine ; n’oubliez jamais son nom. » En empruntant cette épigraphe aux précieuses pages dont il avait le dépôt, l’éditeur des Mémoires de Malouet n’a pas obéi seulement à une inspiration de piété filiale et de légitime orgueil ; il y a là une pensée politique dont l’application est aujourd’hui plus éclatante que jamais. Lorsque parut, il y a six ans, la première édition de cet ouvrage, notre illustre collaborateur M. Charles de Rémusat en prit texte pour une de ces vigoureuses études où il excelle. C’était le moment où une étrange assertion était devenue le lieu-commun de certains publicistes ; on prétendait que la révolution française, indifférente à la liberté politique, n’avait jamais poursuivi d’autre but que l’établissement de l’égalité civile. M. de Rémusat, invoquant les confidences du plus sage, du plus circonspect des hommes de 89, remit la vérité dans tout son jour. Non certes, l’égalité civile, si désirable, si indispensable qu’elle soit, n’était pas le seul bien dont la conquête avait soulevé la France nouvelle contre l’ancien régime. Le despotisme s’accommode parfaitement de cette égalité qui, nivelant tout pour tout abaisser, favorise toutes les usurpations. Si l’on veut que l’égalité ne devienne pas un instrument de servitude, il faut qu’elle ait son contre-poids dans la liberté. Les hommes de 89, dans leur impatience de détruire tant d’odieux privilèges, ont pu ne pas se rendre un compte précis de ces idées ; ils ont pu commettre et ils ont commis les fautes les plus regrettables, ils se sont précipités dans