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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/490

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beaucoup plus engagé qu’il ne convenait dans les plaisirs de la vie parisienne, l’arracha brusquement à ces dissipations en obtenant du comte de Merle, nommé ambassadeur en Portugal, qu’il l’attachât à ses bureaux. Le bon oratorien mena lestement l’affaire. Un jour, le jeune émancipé est invité à dîner chez le comte et la comtesse de Merle. Dans cet examen qu’il subit à son insu, il plaît à ses hôtes et se trouve agréé sur l’heure. Le soir même, son oncle fait porter chez lui des habits neufs, sans oublier une bourse suffisamment garnie ; trois jours après, le jeune chancelier du consulat de Lisbonne est en route pour le Portugal avec son noble patron. Il avait pris son goût du théâtre pour une vocation poétique, il avait cru aussi que les succès mondains suffiraient à sa destinée ; avec quelle promptitude il se retrouve lui-même quand il se voit tout à coup placé en face d’une tâche sérieuse ! Le voilà s’appliquant aux affaires, étudiant l’histoire, la politique, le commerce. Il a pour compagnon de travail un jeune élève diplomate et pour directeur le secrétaire de l’ambassade. Laissons-le parler un instant, c’est à lui de nous dire comment ce nouveau plan de vie le transforma tout entier. « Je recommençai là mon éducation. Ce fut un bienfait inappréciable pour moi que cette vie intérieure toute différente de celle que j’avais menée auparavant. La nécessité d’une bonne contenance, d’une conduite mesurée et d’une circonspection habituelle dans une société d’un ordre supérieur, redressa tous mes écarts d’imagination et calma une vivacité de caractère qui sans ce secours m’eût fréquemment conduit à l’étourderie. J’appris à me taire, à écouter attentivement ce qui valait la peine d’être retenu, à m’ennuyer quelquefois sans en avoir l’air, enfin à dissimuler mes premières impressions, qui m’avaient jusque-là dominé. J’étais le plus jeune et le plus questionneur de l’ambassade… »

Ce jeune homme grave, attentif, déjà si maître de lui-même et si avide de s’instruire, eut l’occasion de voir de très près un des personnages les plus singuliers du XVIIIe siècle. L’histoire connaît les actes du marquis de Pombal ; ni les attaques passionnées ni les apologies ardentes n’ont fait défaut au hardi réformateur portugais. Parmi tant de témoins qui l’ont apprécié en sens contraire, le jugement de Malouet mérite une place à part. Peu de temps avant son arrivée à Lisbonne, deux événemens graves, la conspiration du duc d’Alveiro et la proscription des jésuites, avaient causé une vive émotion dans le pays. Malouet, le plus questionneur de l’ambassade, était curieux de renseignemens sur ces deux points ; chaque fois qu’il essaya d’en dire un mot, il ne reçut que des réponses évasives et ne vit que des physionomies terrifiées. Cela même était déjà un renseignement assez expressif. Aucun Portugais n’osait parler des affaires publiques, et parmi les étrangers bien peu s’y hasardaient.