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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/499

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que j’ai à ajouter est fort simple, me dit M. de Mirabeau ; je sais que vous êtes l’ami de M. Necker et de M. de Montmorin, qui forment à peu près tout le conseil du roi ; je ne les aime ni l’un ni l’autre, et je ne suppose pas qu’ils aient du goût pour moi ; mais peu importe que nous nous aimions, si nous pouvons nous entendre. Je désire donc connaître leurs intentions. Je m’adresse à vous pour en obtenir une conférence. Ils seraient bien coupables ou bien bornés, le roi lui-même ne serait pas excusable, s’ils prétendaient réduire ces états-généraux au même terme et aux mêmes résultats qu’ont eus tous les autres. Cela ne se passera pas ainsi, ils doivent avoir un plan d’adhésion ou d’opposition à certains principes. Si ce plan est raisonnable dans le système monarchique, je m’engage à le soutenir et à employer tous mes moyens, toute mon influence, pour empêcher l’invasion de la démocratie qui s’avance sur nous. — Ces paroles m’allaient au cœur. Qui m’eût dit que M. de Mirabeau était le seul homme dans mon sens, qu’il voulait ce que je voulais, ce que j’avais tant et si inutilement conseillé ? J’eus de la peine à contenir toute ma satisfaction, car j’étais si prévenu contre lui qu’il me restait l’inquiétude d’un piège, d’une ruse dont il fallait me défendre. Je lui dis que je ne doutais pas de la bonne foi et des bonnes intentions du roi et des ministres, que tout ce qu’il y avait de raisonnable et de possible en améliorations, en principes et moyens d’un gouvernement libre était dans leurs vues. — Eh bien ! qu’ils se hâtent donc de le dire et de le prouver, répondit Mirabeau ; mais ce ne sont pas des paroles vagues, c’est un plan arrêté que je demande, et, s’il est bon, je m’y dévoue. Si au contraire on veut nous jouer, on nous trouvera sur la brèche. »

On peut dire que c’est ici une scène mémorable, car le récit de Malouet rectifie les points les plus graves non-seulement en ce qui touche Mirabeau, mais en ce qui concerne la révolution elle-même. Notez que la chose se passe au mois de mai 1789, avant que les états-généraux se soient transformés en assemblée nationale constituante, c’est-à-dire à l’heure où un gouvernement fort pouvait encore diriger la révolution au lieu d’être emporté par elle. On connaît cette parole de Mirabeau : « Le vaisseau est battu par une tempête épouvantable, et il n’y a personne à la barre. » Ce qu’il a dit si énergiquement en 1791, il le sentait dès le mois de mai 89, c’est Malouet qui l’atteste, Malouet qui sentait de même, Malouet qui cherchait aussi un homme, qui demandait un plan, qui répétait sans cesse aux ministres : Ayez donc un programme, si vous ne voulez pas que la direction vous échappe. Qu’on se représente ces deux hommes, Malouet et Mirabeau, la sagesse et le génie, la prudence et la force, qu’on se les représente unis pour l’accomplissement de cette grande tâche. Ils auraient échoué peut-être, tant l’extirpation