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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/521

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l’effet eût été parfaitement le même. La volonté est donc au centre de notre être et de tous les êtres. La tendance de l’eau vers la cavité où elle se précipite, la persévérance de l’aimant à se tourner vers le nord, les affinités et les répulsions des corps, la force vitale qui gouverne les organismes, l’effort de la plante pour se procurer les conditions de son existence, le désir de l’animal qui cherche à se nourrir et à se propager, enfin les actes réfléchis de l’homme à ses divers degrés de développement, tout provient de cette volonté qui se crée des organes en rapport avec ses besoins, et s’objective ainsi de plus en plus à mesure qu’on s’élève dans la série des êtres. Aussi, en elle-même, est-elle indestructible, tout anéantissement n’est qu’une apparence. Les individus meurent, mais la volonté, qui ne les a voulus que parce qu’elle voulait l’espèce, continue d’agir et se sert d’eux à cette fin, soit en leur inspirant l’effroi de la mort, soit surtout en les poussant par d’irrésistibles penchans à se reproduire, et en les y déterminant malgré tout raisonnement de l’intérêt individuel. Il n’est donc pas étonnant que, dans le grand débat qui roule sur la question des causes finales, Schopenhauer se prononce catégoriquement en faveur de la finalité, dont, comme tous les observateurs, il trouve la preuve la plus claire dans l’organisme animal et végétal. Seulement, au lieu de l’attribuer comme la philosophie ordinaire à un pouvoir agissant du dehors et sciemment sur l’être organisé, il n’y voit jamais autre chose qu’une finalité intérieure, immanente, qui se confond avec l’existence même de cet être. La volonté de vivre produit l’organisme, et l’organisme rend la vie possible. Il n’y a donc rien que de très explicable dans ces instincts merveilleux qui ont l’air de prévoir l’avenir. Le futur et le présent se confondent pour la volonté universelle et éternelle dont chaque être individuel n’est qu’une manifestation temporaire et locale. À présent, il serait insensé de rechercher ce qu’est en elle-même cette volonté une et souveraine qui s’objective dans le monde. Nous ne pourrions la connaître qu’en la soumettant aux formes de l’intelligence, ce qui lui ôterait d’avance son caractère de « chose en soi » en la ramenant à la catégorie des choses moulées par notre cerveau. Au-delà de cette notion de volonté que nous trouvons en nous-mêmes comme le dernier mot de l’être, nous ne pouvons concevoir que l’x inconnue.

De cette théorie métaphysique découle une morale assez curieuse. La volonté, mue par son désir aveugle et inconscient de vivre, parvient enfin à la conscience d’elle-même dans le cerveau humain ; mais aussi c’est précisément là qu’elle arrive à perdre toutes les illusions qui l’avaient soutenue ou plutôt égarée jusqu’alors. La volonté découvre dans l’homme que toute réalité est vaine.