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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/527

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dans un verre d’eau placé de façon qu’une partie de l’eau reçoive directement un rayon de soleil, cet animal sans yeux et sans nerfs se dirige vers la partie éclairée. Si l’on place un infusoire vivant à quelques millimètres de lui, le polype perçoit sa présence et agite l’eau pour l’absorber. Qu’on mette à la même distance un grain de poussière ou de matière végétale ou même un infusoire mort, le polype ne s’en soucie pas. Il faut donc nous habituer à considérer la Volonté comme une force bien moins exclusivement liée au cerveau que nous ne nous l’imaginons ordinairement. Il y a en nous-mêmes de la volonté dans ces mouvemens organiques qui échappent à notre conscience comme à notre volonté cérébrale, dans le grand-sympathique par exemple, qui dirige et veut la circulation du sang, dans les organes générateurs, dans l’appareil digestif. L’intestin n’est autre chose qu’un ver fixé à ses deux extrémités, et ses mouvemens, tout aussi bien que les ondulations du lombric, dénotent la volonté. Si l’on admet comme évidente la présence d’une volonté chez celui-ci, il n’y a pas la moindre raison pour la nier chez celui-là. Nous sommes de plus amenés par là à reconnaître en nous la réalité de volontés inconscientes ou, ce qui revient au même, étrangères au cerveau.

Mais il n’y a pas de volonté sans but, par conséquent sans idée à réaliser. Ce qui nous trompe, c’est que nous associons toujours la notion de conscience à celle d’idée voulue. En constatant la volonté inconsciente, nous affirmons par cela même l’idée inconsciente. Ne nous hâtons pas de crier au paradoxe. Comment la volonté consciente agit-elle en nous ? Au moyen du cerveau ; mais avons-nous conscience de la façon dont elle s’y prend pour agir ? Au fond, le cerveau, bien que plus compliqué, ne se comporte pas autrement que les autres centres nerveux. Il contient le clavier des nerfs moteurs, et, pour opérer une volition quelconque, la volonté met en jeu la touche correspondante au mouvement qu’elle veut produire ; mais nous ne pouvons pas nous rendre le moindre compte de cette mystérieuse opération. On veut quelquefois expliquer par l’habitude la dextérité merveilleuse de la volonté, c’est-à-dire par la répétition prolongée d’actes originairement indécis ou fortuits ; comment soutenir une pareille opinion en présence de ces mouvemens instinctifs et pourtant si compliqués des animaux qui viennent de naître ? C’est toujours la même illusion. L’intelligence réfléchie se prend trop aisément pour la reine d’un monde dont elle n’est qu’un phénomène secondaire et accessoire. L’instinct la dépasse de beaucoup, soit par l’étendue de son empire, soit en puissance, soit par la sûreté de ses opérations.

Qu’est-ce qu’un acte instinctif ? C’est un acte qui tend à un but