Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, mon ami ; le diamant des Du Bellay a éteint ses feux et ne doit plus éblouir personne.

— Je comprends, tu le tiens caché aux regards des profanes comme une relique sacrée ; mais pourquoi dis-tu qu’il ne doit plus briller pour personne ? Tes descendans ne seront pas obligés de partager tes pieux scrupules, et franchement ce serait dommage. La nature n’a pas mis un nombre inconnu de siècles à faire cette petite merveille pour qu’elle demeure au fond d’un tiroir. Ce diamant a des droits à la lumière, et tôt ou tard il y reviendra…

— Jamais ! répondit George avec un soupir.

Il raconta ce qui s’était passé le jour de la mort de son père, et comment le feu comte de Louvignac avait exigé que le diamant fût enfermé avec son corps dans le cercueil.

— Voilà une singulière fantaisie, dit le docteur ; mais c’est la dernière volonté d’une âme noble et balle. Il n’y avait pas à marchander ; tu as bien fait de lui obéir. Je vois d’ailleurs que tu as amplement réparé cette perte et que tu t’es mis en mesure de pouvoir un jour offrir à ta femme plus de diamans qu’il n’y en eut jamais dans la famille. Il s’agit maintenant de trouver la jolie paire d’épaules sur lesquelles brillera ta collection.

— Cela ne presse pas, répondit George.

En examinant les papiers de la succession, l’héritier des Louvignac rencontra, parmi les lettres de sa mère, celle du bijoutier de Marmande au docteur Vibrac. Il apprit ainsi que le diamant avait été évalué à douze mille francs. Le prix lui sembla énorme et hors de proportion avec la grosseur de la pierre, dont il croyait se souvenir. Il fallait donc que, malgré son peu de volume, cette pierre fût tout à fait rare par son poids, son éclat et sa pureté. Le plus gros diamant que George eût dans sa collection avait été payé trois mille francs ; celui de sa mère valait quatre fois davantage. Assurément ce devait être une merveille, et il l’avait eue devant les yeux pendant des années sans en connaître la valeur ! et aujourd’hui qu’il saurait l’apprécier, la vue lui en était à jamais interdite ! Tant de beauté dans un objet si petit, et personne au monde ne devait plus le revoir ! — Le docteur, pensa George, le docteur lui-même l’a dit : c’est vraiment dommage. C’est une cruauté, une barbarie qui révolte la nature. A-t-on bien le droit de condamner à l’obscurité les plus beaux ouvrages de Dieu ? Ma religion n’a-t-elle pas été surprise ? Si j’eusse connu le prix de cet objet, n’aurais-je point fait de justes réflexions sur un acte de vandalisme que nul être en possession de son bon sens n’oserait commettre ? Décidément je n’en ai pas encore fini avec ce chiffre fatal de douze mille francs qui ressemble à une raillerie du hasard. Ce diamant