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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/57

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au-dessus du cercueil que le diamant des Du Bellay, rendu à la vie, lança un jet de lumière éblouissant dans l’œil de son libérateur. George s’en saisit. Dans la joie du succès, il s’enfuit, laissant le tombeau en l’état où il l’avait mis, et rentra au château, son pic de fer sur l’épaule, sans prendre garde aux mines ébahies de ses gens, fort étonnés de le voir passer en cet équipage.


IV.

Le docteur Vibrac venait déjeuner au château si souvent qu’on ne prenait pas la peine de l’annoncer. Il se rendait tout droit à un petit salon où il lisait les journaux en attendant le coup de cloche et l’arrivée du maître de la maison. Un matin, il trouva sur la cheminée du salon l’écrin qui renfermait les bijoux de George. La clé était dans la serrure. Sans penser à mal, il ouvrit la boîte et reconnut aussitôt la fameuse épingle du feu comte de Louvignac. Comme si le couvercle d’argent oxydé lui eût brûlé les doigts, il le laissa retomber, ferma vivement la boîte et se plongea dans un fauteuil pour réfléchir au secret qu’il venait de surprendre. Le bruit souterrain du cimetière lui revint alors à la mémoire, et la vérité tout entière se découvrit à lui subitement. Sa franchise ne s’accommodait point d’une position équivoque. Pendant le déjeuner, ses yeux perçans, fixés sur ceux de George, lançaient des regards pleins d’interrogation. À la fin, n’y tenant plus : — Je ne savais pas, dit-il, que notre pauvre village possédât de bijoutier ; cependant ta collection s’est enrichie d’une belle pièce depuis peu.

— Vous avez ouvert mon écrin ! s’écria George.

— Assurément.

— C’est une indiscrétion.

— Si j’ai commis une indiscrétion, comment s’appelle ce que tu as fait ?

— Appelez-le comme vous voudrez. J’ai repris possession de mon bien.

— De mon temps, dit le vieillard avec des yeux étincelans, de mon temps on croyait que le bien donné ne nous appartient plus. On croyait qu’un chef de famille riche avait le droit de disposer de ses bijoux sans en demander la permission à monsieur son fils. On croyait aussi qu’il pouvait donner des ordres à ce fils, et partir pour l’autre monde avec la conviction que ses volontés dernières seraient exécutées, les engagemens tenus, les promesses fidèlement remplies. Aujourd’hui les jeunes gens ont donc changé tout cela ? J’ignore s’ils ont mis le cœur à droite, comme Sganarelle ; mais en quelque endroit qu’ils l’aient mis, à coup sûr il est mal placé.

— Doucement ! vous m’offensez, docteur.