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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/587

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civet d’écureuils ; Brunille procéda elle-même à la toilette de nos champignons, qu’elle versa ensuite avec du lard et des croûtons de pain dans la poêle brûlante. Elle y ajouta, en guise d’assaisonnement, les feuilles hachées de l’oxalide petite oseille, et bientôt une friande odeur de cuisine monta sous les branches des hêtres. Tristan avait avec lui une gourde de rhum qui servit à corriger la crudité de l’eau de la source, et nous fîmes au milieu de ces braves gens le plus gai des repas forestiers. Le ciel riait entre les feuilles, les rouges-gorges fredonnaient dans le voisinage, et la fumée bleue du foyer à demi éteint montait lentement vers les hêtres. Tout en dégustant l’écureuil, dont la chair a un goût de noisette, j’épiais les mines de Brunille et du Grand Justin. Rien qu’à voir les œillades qu’ils se lançaient derrière le dos de la vieille mère, je jugeai que le bal de la fête n’avait pas amassé de nouveaux nuages de jalousie, et que rien n’avait troublé la paix signée à la cascade des Moulineaux.

Au dessert, — un dessert d’alizés et de noix fraîches, — les deux amoureux, excités par Tristan, commencèrent une chanson rustique, une sorte de chant alterné comme dans les idylles de Théocrite ; je n’en ai retenu que quatre vers que Brunille modulait avec une coquetterie charmante :


Elle est aussi vermeille
Que la rose en été,
Sa taille est aussi fine
Que l’herbe dans les prés…


Puis tous deux reprenaient en chœur sur un ton plus grave :


Vous m’avez tant aimé,
Vous m’avez délaissé !..


Ô Théocrite ! ô Virgile ! J’écoutais ces deux jeunes voix, tantôt séparées, tantôt harmonieusement accouplées ; je regardais les lentes spirales de la fumée, les réseaux lumineux sous la voûte des arbres, les figures brunes et accentuées des charbonniers ; je me croyais transporté aux temps des Thalysies et du Moretum, et, en savourant cette heure délicieuse, je songeais avec mélancolie que le temps s’en allait trop vite, et que dans peu de jours tout ce monde enchanté des bois disparaîtrait à mes yeux.


23 septembre. — Il pleut à verse, de grands nuages noirs planent dans le ciel, et le vent avec de plaintives rumeurs les chasse devant lui. Les arbres de la forêt tordent convulsivement leurs branches mouillées, et l’Aube grossie bouillonne sous les tilleuls de