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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/593

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incapables de se reproduire représentent simplement un état de la vie des ténias[1] ; des expériences devaient bientôt fournir de curieuses révélations.

Il y a moins d’un quart de siècle, en présence des ténias, des douves, des ascarides, qui habitent le corps des mammifères, des oiseaux, des poissons, il était constaté que chaque espèce de ver est propre le plus souvent à une seule espèce de vertébré ou à quelques espèces du même genre, mais une présomption pouvait troubler l’esprit. Si l’on supposait que les ténias de l’homme, du chien, du chat, de l’écureuil ont la même origine, et ne sont différenciés que par l’influence du milieu, l’opinion contraire ne trouvait à s’appuyer que sur des analogies. Depuis cette époque, la science a fait un grand pas ; les observations et les expériences sur les vers intestinaux ont apporté une preuve éclatante de la fixité des espèces. Les phases de la vie et le développement d’un ténia donnent l’exemple de l’un des plus surprenans phénomènes de la nature. L’animal habite successivement le corps de deux êtres fort différens. Le ténia, ou, suivant l’expression vulgaire et très impropre, le ver solitaire vivant dans l’intestin de l’homme porte un nombre d’œufs incalculable ; chaque anneau contient un ovaire abondamment garni. Les derniers anneaux du ver se détachent et sont entraînés au dehors ; c’est le mode de propagation du désagréable parasite. En aucun cas, l’œuf du ténia ne se développe dans le corps humain, — il doit être avalé par un porc. Dans l’estomac du pachyderme, le petit ver éclôt ; sa tête est garnie de crochets ; il perfore les tissus et va s’établir entre les couches musculaires chargées de graisse. Un kyste se constitue et le ver demeure emprisonné dans sa loge ; il grossit sans dépasser des proportions assez médiocres. Son corps terminé par une sorte d’ampoule ou de vésicule ne présente que peu d’annulations ; c’est le cysticerque, qui n’acquiert point d’organes de reproduction. Incapable de sortir de sa retraite, le cysticerque y vivra sans changement, et, comme tout en ce monde, finira par périr dans l’endroit où il s’est fixé. Vienne le jour où le porc est sacrifié, puis livré à la consommation, le cysticerque est introduit dans l’estomac d’un l’homme. Une existence nouvelle commence pour le ver ; parvenu dans l’estomac, il s’accroche contre la paroi à l’aide de l’armature qui couronne sa tête ; la vésicule éclate et disparaît. Le jeune animal grandit rapidement, les anneaux se multiplient, sur les plus développés apparaissent les organes reproducteurs, un ténia est en pleine jouissance de la vie. Le même être est donc pendant la première

  1. Voyez Recherches anatomiques et zoologiques faites pendant un voyage sur les côtes de la Sicile et sur divers points du littoral de la France, par MM. Milne Edwards, de Quatrefages et Émile Blanchard, t. III.