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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/62

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par sa majesté le roi de Birmanie auprès du gouvernement français. Ce dernier se conduisit sagement en ne reconnaissant pas comme ambassadeur cet aventurier. Le personnage en question avait su plaire au roi de Birmanie, et venait en effet avec une sorte de mission, celle de ramener des hommes capables de créer en Haute-Birmanie des établissemens sérieux, tels qu’ateliers de construction, manufactures d’armes, fonderies, etc. M. d’Orgoni ne créa rien en Birmanie ; il ruina les malheureuses familles qui eurent confiance dans ses promesses, et mourut misérable lui-même à Rangoon. Il s’était pourtant fait passer auprès du roi pour un personnage très influent, et avait promis de rapporter, outre sa petite colonie industrielle, un traité d’alliance avec la France. Nous savons comment il s’était acquitté de la première partie de cette mission ; quant à la seconde, on a vu que le gouvernement impérial avait refusé de lui reconnaître le titre d’ambassadeur. Revenir auprès du roi sans le traité tant désiré, c’était dur pour l’amour-propre de M. d’Orgoni. Il s’en tira assez habilement. La maison où il demeura lors de son retour à Rangoon vint à prendre feu ; il sauva tout ce qui lui appartenait, seule la valise qui était censée renfermer le traité devint la proie des flammes.

D’où vient que le roi de Birmanie rêvait et rêve encore l’alliance d’un peuple puissant ayant une réputation militaire ? C’est qu’à la suite de deux guerres malheureuses avec les Anglais, l’une en 1824-1826, l’autre en 1852-1853, le gouvernement birman se vit dépouillé de toutes ses côtes et de la riche province du Pégou. Il dut en outre subir un traité humiliant en vertu duquel le passage d’armes et de munitions de guerre était interdit à travers le territoire anglais, qui constitue avec le Pégou et Rangoon la clé de l’Irawady, la seule voie de communication de ces pays. Le traité impose encore un droit de 1 pour 100 ad valorem sur toutes les matières entrant en Haute-Birmanie. Le droit de visite que donne cette clause du traité rend toute fraude impossible en ce qui concernerait le passage d’armes ou de munitions. Il est inutile de rechercher ici les causes de ces deux guerres, on les retrouverait autant dans l’ambition du gouvernement de Calcutta que dans l’arrogance et la vanité de celui d’Ava[1]. Qu’il suffise de savoir qu’après la paix de 1826 le gouvernement de Calcutta s’annexa les districts d’Arakan et de Tenasserim, et qu’à la suite de la paix de 1853 il s’annexa le Pégou. Ces trois provinces réunies forment aujourd’hui le commissariat-général de la Birmanie anglaise, dont le chef-lieu est Rangoon ; il relève directement du vice-roi des Indes.

  1. Ava était alors la capitale de la Haute-Birmanie.