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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/634

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proclamations parties des deux camps, celles du maréchal Concha, celles de Dorregaray, et l’on verra de quel côté se trouvent la modération et l’humanité. « Notre mission est de vaincre et non d’assassiner, » disait Concha dans sa dernière proclamation adressée à l’armée du nord devant Estella. On sait les événemens qui suivirent, la mort du vieux maréchal, la retraite de son armée. Dans la lutte, quelques maisons d’Abarzuza et de Zabal avaient pris feu ; comment rendre un chef responsable d’excès de cette sorte commis pendant une bataille de trois jours par des soldats en retraite ? Dorregaray néanmoins part de ce prétexte pour mettre ses menaces à exécution et décimer ses prisonniers. Depuis lors, pour répondre à ses adversaires, le gouvernement de Madrid a décrété que les biens des carlistes en armes et de tous ceux qui favoriseraient l’insurrection seraient séquestrés, et sur les revenus des indemnités allouées aux familles des prisonniers mis à mort. Ce sont là sans doute des mesures injustifiables, et plusieurs feuilles libérales en Espagne même les ont énergiquement blâmées comme dangereuses et iniques. Après avoir depuis deux ans, avec une indulgence voisine de l’apathie, souffert les excès des rebelles, on pouvait recourir à d’autres moyens pour les frapper, eux et leurs adhérens, et les priver des ressources qui prolongent la guerre ; mais ce décret, si blâmable qu’il soit d’ailleurs, est précédé d’une déclaration expresse de ne jamais user de représailles. Pendant ce temps, les carlistes font revivre l’horrible loi des otages. Le brigadier Andres Ormaeche, commandant général de Viscaye au nom de don Carlos, s’adresse ainsi aux magistrats de sa province : « immédiatement après le reçu de cet ordre, vous mettrez en prison tous les libéraux qui habitent la côte de votre district ; vous informerez les prisonniers que, pour chaque coup de canon que les navires ennemis tireront sur les villes et les villages de la côte, il sera passé par les armes un des prisonniers que le sort désignera. » Cette façon de faire la guerre répugne trop aux idées du monde moderne ; l’Europe, par son silence, ne pouvait l’autoriser plus longtemps ; l’opinion publique s’est émue, elle a demandé qu’on désavouât en son nom une cause qui ne s’appuie que sur la terreur, et les grandes puissances, en reconnaissant officiellement le gouvernement de Madrid, lui ont donné, en même temps qu’une preuve d’estime au peuple espagnol, l’autorité et la force morale qui doivent hâter sa victoire.


II.

Le résultat en effet ne saurait être douteux : don Carlos sera vaincu ; ses partisans eux-mêmes n’oseraient lui promettre le succès, ils connaissent trop pour cela le sentiment du pays. L’immense