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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/637

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et forçaient les habitans paisibles à les suivre, abandonnant leurs travaux agricoles : une discipline rigide ôtait ensuite jusqu’à la pensée d’une désertion. De proche en proche, les laboureurs, devenus soldats, ont converti en soldats le reste des laboureurs, à tel point que les hommes mariés et les hommes de cinquante ans sont aujourd’hui sous les armes. Voilà comment don Carlos est arrivé à réunir une armée. Grâce à la mollesse ou à l’impuissance du gouvernement, 1,000 hommes lui ont suffi. Ce qui doit le plus étonner, c’est que l’année dernière il n’ait pu marcher sur Madrid ou tout au moins sur Burgos. Cette absence d’initiative prouve son peu de force réelle.

On ne saurait nier d’ailleurs que diverses causes n’aient puissamment contribué à propager le mouvement et à favoriser les progrès du carlisme dans les provinces basques. On a parlé des fueros menacés, on a dit que les Basques s’étaient levés pour défendre leurs privilèges, qu’après le traité de Vergara le gouvernement avait cru devoir respecter dans trois des provinces et qu’on voulait leur ravir. Ces privilèges, pour ne citer que les principaux, consistent dans l’exemption de tout impôt direct et de la conscription. Quelques-uns des impôts indirects n’existent pas, les autres sont perçus d’une façon différente que dans le reste de l’Espagne. Le préfet ou gobernador civil n’a que fort peu d’attributions, chose considérable eu égard à la manie de centralisation qui a prévalu dans les autres provinces. L’administration intérieure est complètement entre les mains d’un conseil-général élu à différens degrés, suivant différens modes d’après les provinces, et absorbant la direction de toutes les affaires. Ces conseils sont des assemblées souveraines : de leur sein et nommé par elles sort le pouvoir exécutif, composé de plusieurs membres dont le chef porte le nom de diputado general ou foral pour se distinguer du diputado à cortès. Ce mécanisme, qui fonctionne admirablement et avec une incroyable économie, date d’un temps immémorial. Les trois provinces qui jouissent des fueros dans toute leur plénitude sont Viscaya, Guipuzcoa et Alava ; la Navarre s’en est vu enlever en 1840 la plus grande partie, mais elle garde encore quelques immunités, celle du papier timbré par exemple. Sécurité absolue, criminalité extrêmement réduite, routes nombreuses et bien entretenues, agriculture et industrie florissantes, tels sont pour les provinces basques les fruits de ce régime vraiment patriarcal, et l’on comprend qu’elles y soient sincèrement attachées. Plusieurs de leurs privilèges, il est vrai, sont. insoutenables et devraient disparaître, comme l’exemption d’impôts et du service militaire, car ils font peser d’autant les charges sur le reste de la nation, — et cependant personne en Espagne ne parlait de les abolir. Chose à noter, la révolution de 1868, si radicale en tout le reste, n’y avait