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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/667

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donner une idée exacte, et, si aride qu’en soit renonciation successive, on ne comprendrait pas sans elle la question financière en Turquie. Les dix-sept emprunts contractés de 1854 à 1873 n’ont eu d’autre but que de parer aux déficits annuels, et, comme l’argent obtenu n’a pas été employé en dépenses utiles, comme la dette flottante n’a pas diminué, il faut bien en conclure que le déficit est toujours l’état normal et que le gaspillage des ressources disponibles n’a pas cessé. Le gouvernement ottoman a eu recours à deux sortes de prêteurs pour subvenir à ces prodigalités, les banquiers européens établis depuis longtemps à Constantinople ou les établissemens de crédit spécialement créés pour les affaires turques avec des succursales sur les principales places de l’Europe, et le public, principalement en France et en Angleterre. Si l’on faisait le compte exact de ce que l’Europe a prêté à la Turquie et de ce qu’elle en a reçu sous forme d’intérêts, de primes, etc., on verrait que l’Europe n’a jamais rien touché de sa débitrice qu’en le lui avançant elle-même, et on se demanderait ce qui en définitive adviendrait du capital dû et des intérêts eux-mêmes, si banquiers et public fermaient leur bourse à la Turquie. Plusieurs fois les embarras ont été si grands que le moment de la crise finale a pu sembler proche. La proclamation du hatti-humayoun de 1856, les réformes de 1867 sur la propriété, ont marqué dans les avant-dernières crises le point culminant de difficultés qui ne cessent jamais, mais, comme des maladies chroniques après un état latent, éclatent tout d’un coup et appellent les soins immédiats du médecin. Les puissances européennes ont donc été, à diverses reprises, appelées à sauver le malade. Sans parler des interventions politiques de la France, qui depuis Louis XIV a préservé bien des fois la Turquie du démembrement, le concours de nos administrateurs[1], l’initiative de commissions financières inspirées ou présidées par des Français, ne lui ont pas fait défaut. Dans chacune de ces périodes aiguës, les symptômes morbides étaient les mêmes, dette flottante énorme, engagemens trop lourds pour être tenus, intérêts usuraires perçus par des prêteurs à bout eux-mêmes de ressources ; qui ne se souvient, à l’avènement d’Abdul-Aziz, de ce qu’on appelait la « dette de Galata, » c’est-à-dire les avances faites par les maisons de Galata à 50 pour 100 d’intérêts, agio compris ! L’an dernier, la Turquie vient de repasser par une crise à peu près aussi violente ; ce n’est pas sans hésitation que le sultan s’est décidé à l’adoption du remède énergique qu’on s’efforce en ce moment d’appliquer au mal avec un vif espoir de le guérir.

  1. On ne saurait oublier les services rendus à Constantinople par M. le marquis de Plœuc, alors inspecteur-général des finances, aujourd’hui sous-gouverneur de la Banque de France.