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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/731

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souci que de s’effacer et de s’abstenir. Au début, les emportemens belliqueux de l’empire, les premiers coups de foudre de la guerre, avaient été un trop facile prétexte de froideur et d’inaction ; plus tard, le prétexte avait été l’explosion du 4 septembre et l’irrégularité d’un gouvernement dénué de toute sanction nationale. La violence des événemens avait fait le reste en glaçant toutes les résolutions, en rejetant toutes les politiques dans une sorte d’expectative poussée jusqu’à l’abdication. Assurément, dans ses longues courses à travers le continent, dans ses voyages à Londres et à Saint-Pétersbourg, à Vienne et à Florence, M. Thiers avait fait tout ce qu’il avait pu pour relever le crédit moral de la France, pour réveiller un sentiment de solidarité qui n’eût été en définitive qu’un sentiment de prévoyance ; il avait recueilli partout des sympathies et pas une promesse d’action sérieuse. Le délégué des affaires étrangères, de son côté, M. de Chaudordy, à Tours, puis à Bordeaux, n’avait cessé de déployer le zèle le plus actif dans un rôle que tout lui rendait ingrat et presque impossible ; il n’avait rien négligé pour provoquer l’intérêt des puissances, pour amener les gouvernemens à exprimer une opinion, à interroger la Prusse, à proposer une combinaison, une trêve ou une médiation. Peine perdue ! Le dernier mot de l’initiative européenne pendant ces six mois avait été de faciliter à M. Jules Favre l’entrevue de Ferrières au 18 septembre 1870, d’ouvrir à la fin d’octobre les portes de Paris et de Versailles à M. Thiers pour aller négocier un armistice, qu’on n’avait du reste appuyé d’aucune démarche directe et efficace. La vérité de cette situation, M. de Beust la résumait d’un trait aussi vif que juste : « il n’y a plus d’Europe ! » Diplomatiquement isolée, respectée dans son malheur, mais abandonnée de tout le monde, la France restait seule, comme un combattant dans le cirque, ayant pour témoins les représentans étrangers, réunis sur la Loire ou à Bordeaux autour d’un gouvernement que pour la plupart ils n’avaient même pas reconnu.

Ceux qui se sentaient intéressés à notre cause, qui, selon leur propre parole, lisaient « dans le sort de la France leur sort futur, » et qui auraient voulu agir, — l’Autriche et l’Italie étaient du nombre, — ceux-là ne pouvaient rien, ils l’avouaient avec une tristesse mêlée d’un peu de remords. Ceux qui auraient pu décider l’action européenne ne voulaient rien faire. Ce n’est point une vaine récrimination de vaincus, c’est une situation à préciser.

Une des méprises les plus singulières est ce qu’on a souvent pensé de la politique de la Russie, et cette méprise, propagée avec calcul par les défenseurs de l’empire, a son origine dans un télégramme mystérieux de l’ambassadeur de France à