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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/738

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morts, blessés, prisonniers ou internés et ce qu’elle avait ou ce qu’elle était censée avoir sous les armes, la France avait fourni depuis six mois quelque chose comme 1,600,000 ou 1,700,000 hommes. Pour aller plus loin, elle avait nécessairement de moins tout ce qu’elle avait perdu, dépôts, arsenaux, places de premier ordre, plus de trente départemens séquestrés par l’ennemi, et parmi ces départemens les plus riches, les plus militaires, la Lorraine, l’Alsace, les Vosges, la Champagne, la Bourgogne, Paris.

Devait-on, pouvait-on dans ces conditions reprendre et poursuivre la lutte jusqu’au bout ? Terrible question ardemment, patriotiquement controversée ! Je ne parle pas des énergumènes pour qui la « guerre à outrance » n’était qu’un mot d’ordre de révolution ou un moyen de domination, qui prétendaient pousser de braves gens au combat sans y aller eux-mêmes, en se réservant pour d’autres exploits. La question s’agitait plus sérieusement dans les conseils, dans les réunions plus ou moins secrètes de l’assemblée qui venait de se constituer, dans une commission de la guerre chargée d’inventorier en toute hâte les ressources de notre situation. Elle partageait les chefs militaires eux-mêmes. Au mois de janvier, le général Faidherbe avait dit à M. Gambetta à Lille : « Une fois Paris tombé, il n’y a pas de résistance possible. Dans le nord, nous serions écrasés en un mois ; dans le midi, quelle résistance espérer ? Les populations n’y sont pas portées à la défense, et le pays ne s’y prête pas… » Un mois après, interrogé par le ministre de la guerre, qui n’était plus M. Gambetta, il répondait de même, avec une sévère franchise. Sa lettre avait la rigueur simple et nue d’une démonstration. Chanzy, lui, persistait à croire non-seulement à la possibilité, mais à l’efficacité de la lutte, et cette conviction, il la portait à l’assemblée, où il venait d’être envoyé par son pays natal des Ardennes ; il la témoignait avec netteté, avec vivacité, dans ses communications avec le gouvernement, dans les discussions intimes des bureaux de l’assemblée. Il se montrait là ce qu’il n’avait cessé de se montrer, ferme, confiant, soutenu par un certain optimisme de soldat inaccessible au découragement. C’était digne du chef de la « deuxième armée, » de celui qui depuis trois mois ne cédait le terrain que pas à pas, de ne point désespérer de la fortune de la France, de garder jusqu’au bout cette attitude du combattant prêt à se rejeter sur ses armes s’il le fallait, si le vainqueur voulait imposer une loi trop dure. Le général Chanzy ne se faisait-il pas illusion cependant lorsqu’il croyait qu’on pouvait contraindre l’ennemi à s’épuiser par la dispersion, lorsqu’il supposait qu’il faudrait aux Allemands 100,000 hommes pour faire face à M. de Charette, à M. Cathelineau et à quelques divisions de mobilisés, en Bretagne,