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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/751

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toute façon, il n’y avait pas de temps à perdre ; la solution était à Bordeaux, où les négociateurs français se hâtaient d’aller la chercher. Là commençait la tâche de l’assemblée, saisie tout à coup, dès le 28 février, de cette paix qu’elle désirait, qu’elle croyait nécessaire et devant laquelle elle restait consternée lorsqu’elle en connaissait les conditions. Cette malheureuse assemblée de Bordeaux existait depuis quinze jours à peine, elle n’avait pas encore siégé sérieusement, et pour son début elle avait à payer la rançon des fautes ou des folies des autres, à se prononcer sur un acte de diplomatie qui laissait la France démembrée, dont elle n’avait pas sûrement la responsabilité. Elle se devait du moins à elle-même de décliner cette responsabilité, de la rejeter sur le premier et vrai coupable, et, par une coïncidence singulière, c’est un défenseur de l’empire qui, en voulant élever une protestation offensante en un pareil moment, forçait l’assemblée à faire justice par un vote spontané confirmant la déchéance du régime napoléonien. L’empire était jugé sur ses œuvres et sur les conséquences de ses œuvres.

Cela fait, la situation restait douloureusement simple dans cette émouvante séance du 1er mars où s’agitait la grande question. Rien n’était à coup sûr plus facile que de s’élever contre ces préliminaires du 26 février, comme aussi rien ne pouvait être plus oiseux et même plus périlleux que de jeter dans une telle discussion, où tout devait rester digne et viril, des déclamations inutiles. Que l’assemblée « subît, comme on le disait, les conséquences de faits dont elle n’était pas l’auteur, » c’était évident. Au-delà de cette justice, que l’assemblée avait raison de se rendre, on ne pouvait plus rien. Lorsqu’on parlait de refuser toute cession territoriale, de reprendre la guerre, M. Thiers s’écriait avec l’impétuosité du désespoir : « Les moyens ! les moyens ! donnez-moi des moyens, non des paroles ! » et il n’y avait rien à répondre. Il n’y avait qu’à voter et à se hâter pour deux raisons. D’abord, si on hésitait, si on prolongeait ces débats, les hostilités pouvaient se rouvrir par la dénonciation de l’armistice à partir du 3 mars. En outre, les Allemands n’avaient pas eu jusque-là le temps d’entrer dans Paris ; mais au moment même où l’on discutait à Bordeaux, ils y étaient déjà. Chaque heure qu’on laissait passer prolongeait pour Paris cette épreuve que la ratification des préliminaires pouvait seule abréger. L’assemblée, au milieu de toutes ses émotions, le sentait violemment, et c’est sous le poids de cette situation qu’elle se hâtait de sanctionner la paix, sans se dissimuler les périls du lendemain et les effroyables difficultés de la liquidation qui commençait.


Ch. de Mazade.