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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/783

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ne faisait guère que quatre ou cinq leçons par trimestre ; il enseignait la littérature. « Je vous envie, disait-il à un de ses collègues ; quelle facilité, quelle heureuse disposition ne vous faut-il pas pour suffire régulièrement à votre cours, et cela sans effort ! Pour moi, quand j’ai à parler de Corneille, je m’enferme dans mon cabinet ; j’ouvre l’auteur à une belle page, je lis et relis cet admirable morceau ; je lui demande les élémens d’une leçon, et le plus souvent cette page ne me dit rien. » Il ajoutait que ce grand labeur lui rendait l’enseignement très pénible. « Que ne faites-vous plus simplement ? lui fut-il répondu ; prenez Corneille, étudiez ses prédécesseurs ; remarquez ce qu’il leur a dû, cherchez l’influence qu’il a exercée sur le théâtre français ; voyez dans ses œuvres la haute expression de quelques-unes des idées de son temps. — Mais c’est là de l’histoire, de la philosophie, ce n’est plus de la littérature. » Ce qu’est la littérature, dépouillée de tout ce qui peut lui donner quelque réalité, il est en effet assez malaisé de le dire. Par la force même des choses, on arrive à la réduire à des considérations fines et spécieuses relevées par le choix des mots. Il est facile de voir par les sujets de dissertations qu’on donne dans nos plus grandes écoles ce que devient cette étude ainsi comprise. Par exemple, on demandera à des jeunes gens qui demain seront professeurs « pourquoi les termes qui ont le plus de douceur en poésie sont empruntés à la prose, — pourquoi, dans le poème épique, la tradition autorise à ne pas suivre l’ordre des temps, — sous quelle forme de gouvernement la poésie pastorale trouve ses plus gracieuses inspirations. » Ces sujets sont vieux de dix ans, on ne les donnerait plus aujourd’hui ; sommes-nous aussi sûrs qu’ils n’auraient pas des partisans convaincus ?

Tout élève qui sort d’une université allemande pour aller enseigner dans un collège emporte cette conviction qu’il peut faire un grand nombre de travaux utiles. Il sait ce qu’est la science, comment on recueille les matériaux, comment les efforts de chacun, limités à un objet restreint, concourront au progrès général. Ce sont les recherches positives qui l’occupent, recherches de faits, et dont la valeur est le plus souvent facile à constater avec certitude. De la sorte, sous une forte discipline, une foule de laborieux ouvriers s’appliquent à une tâche commune. C’est une vaste landwehr ; le nombre des soldats, l’unité des vues et celle des doctrines en font la force. Dans ces conditions, on peut dire que, pour rendre service, il n’est nul besoin de talent ; le bon vouloir suffit. Tout esprit éclairé comprend la méthode, tout homme studieux peut l’appliquer. Si les erreurs se produisent, il est facile de les montrer à l’auteur ; dans les œuvres de goût, comment convaincre avec évidence un écrivain