Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de toute synthèse. Elle désigne la connaissance précise par opposition au vague ou à l’à-peu-près. C’est parce que le temps présent a su acquérir avec certitude un grand nombre de faits nouveaux et qu’il a porté dans l’examen de ces faits une critique rigoureuse que les sciences morales ont pris de nos jours une importance qu’elles n’avaient pas dans le passé. Nous avons reconquis quatre mille ans de l’ancienne Égypte, nous sommes remontés beaucoup plus haut, jusqu’aux origines des races aryennes ; par là nos horizons se sont étendus, nous avons eu un sentiment plus profond de l’immensité de la vie dans le passé. La philologie, en établissant les lois de la filiation des langues, a montré par un exemple incontestable combien sont certaines les règles qui président au développement des facultés sociales ; elle a contribué pour une grande part aux progrès de la philosophie de l’histoire. L’étude des formes variées de l’art antique, étude où on ne peut rien sans être érudit, a commencé à nous révéler le vrai génie de la Grèce, que nous avons cherché ensuite plus sûrement dans les œuvres de ses prosateurs et de ses poètes. De la variété des faits soumis à notre examen, de la précision des analyses matérielles est né en grande partie ce sentiment des nuances qui est aujourd’hui l’honneur de la critique.

Le grand mouvement qui au début de ce siècle a permis de constituer la science de la nature physique est un juste objet d’admiration. La science des lois historiques et morales, reprise aujourd’hui sur les bases qu’avait établies le génie d’Aristote, ne sera ni moins sûre ni moins féconde. La place qu’elle tient dans la préoccupation du temps présent, en France en particulier, est faite pour permettre tous les enthousiasmes ; elle assure un champ infini d’activité à la pensée philosophique, qui a pu croire parfois qu’elle avait épuisé toutes les variétés de la recherche et de la méditation. Elle repose sur les faits, et pour cette cause elle ne saurait se passer des méthodes érudites ; elle les soumet à l’entreprise qu’elle poursuit, et, en se les associant, elle leur donne une dignité qui nous est chère ; mais par-delà l’érudition, par-delà les faits, au-dessus même des lois les plus hautes, elle voit ce que la science n’explique pas, ce qui lui est mille fois supérieur. En reculant les bornes de l’idéal, elle ne fait que le rendre plus grand ; la plus rigoureuse et la plus positive des études ne marche de progrès en progrès que pour découvrir sans cesse une poésie plus profonde et plus originale. Il n’est pas d’érudit qui, penché sur sa tâche, n’ait le sentiment du travail qui s’accomplit autour de lui ; il sait qu’il y contribue, et que, sans les recherches auxquelles il se consacre, cet édifice, si beau qu’il fût, ne serait qu’une vaine illusion.


ALBERT DUMONT.