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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/796

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champ de bataille. Puis il descendit, et demanda la victoire à genoux avec une ferveur tout apostolique. Quand il se remit en selle, le soleil d’hiver envoyait un premier rayon horizontal dans ses yeux. Il entonna le cantique : Lève-toi, soleil de justice, qui semblait composé pour la circonstance. À peine avait-il achevé la seconde strophe que, sur le sentier qu’il suivait à travers une épaisse forêt de hêtres et d’érables, deux hommes taillés en athlètes s’avancèrent à sa rencontre. Ces athlètes n’étaient autres que nos vieilles connaissances Bill Mac-Conkey et Jack Sniger.

— Gare ! cria Bill en saisissant la monture du prédicateur par la bride ; nous allons te rosser jusqu’à ce que tu aies promis de ne plus mettre le pied dans ce pays-ci.

— Je ne te promettrai rien.

— Eh bien ! tant pis pour toi !

— Vous êtes deux contre un. Me permettrez-vous du moins d’ôter mon habit ?

Sur leur réponse affirmative, il descendit tranquillement et attacha son cheval en adressant une prière mentale au Dieu de Samson. — Mes amis, dit-il ensuite, je ne vous veux pas de mal, je vous conseille par conséquent de me laisser en paix. En citoyen américain va où bon lui semble. Mon père était soldat de la révolution, et je compte défendre aussi mes droits.

Pour toute réponse, Sniger lança un blasphème que le prédicateur étouffa d’un coup de poing.

Magruder était de ces hommes trapus dont la force musculaire est sans bornes. Avant sa régénération, il avait été fameux comme boxeur. Le coup qu’il porta par surprise à Jack renversa ce dernier ; mais Bill prit avantage du mouvement et le frappa de son côté en plein visage. Malheureusement pour lui, Jack, qui avait éprouvé la solidité des poings de Magruder, fut assez lent à se relever, le prédicateur put donc décocher à son second adversaire ce qu’il appelait une vigoureuse polémique sur le nez, puis, se tournant contre l’autre comme un taureau furieux, il lui enfonça deux côtes sans préambule. Cependant Bill l’attaquait par derrière, le terrassait et tombait de tout son poids sur lui à la mode de l’ouest. Rien ne pouvait sauver Magruder qu’un prodige de vigueur. Il réussit à se redresser, puis repoussa, en jouant habilement des jambes, Bill toujours cramponné à son dos et le piétina de la belle manière. À cette vue, Jack Sniger jugea prudent de disparaître dans les buissons malgré les cris de Bill, qui s’était relevé et qui l’appelait tout en reculant. — Frappe par derrière, camarade ! frappe par derrière ! — Saisi de panique, Jack se figurait que le prédicateur devait avoir autant de bras derrière et devant qu’une divinité hindoue : Bill, se voyant abandonné, grogna entre ses dents : — Merci ! je ne m’en charge