Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’endroit où deux chemins se rejoignaient, un personnage barbu, drapé dans une couverture, coiffé d’un bonnet de peau de loup et portant à la ceinturé couteaux et pistolets. Cet individu marcha lentement vers lui et tendit la main sans parler. On juge de l’empressement avec lequel il lui remit le sac et du galop que prit ensuite Dolly. La première émotion passée, Morton se demanda comment ce Burchard, candidat politique, pouvait être si bien au courant des mœurs d’une bande de brigands et en bons termes avec le propriétaire de leur quartier-général ; mais une préoccupation plus puissante ne tarda pas à chasser celle-ci. Il avait faim, sa bourse était vide, il se trouvait à plus de cinquante milles de la maison paternelle, et la neige commençait à tomber. Il résolut de passer la nuit dans une cabane voisine de la rivière. À son appel, un grand vieillard entre-bâilla la porte.

— Puis-je, lui demanda-t-il, me reposer ici jusqu’au matin ?

— Nous n’avons pas de place.

— Mais voyez dans quel état est ma jument !

— Il est certain que vous l’avez surmenée. Pauvre bête ! et une pouliche de prix encore. Elle est à vous ?

— Pas précisément, dit Morton d’un air triste en songeant au billet qu’il avait souscrit.

— Ah bah ! Je vous répète, étranger, que vous ne pouvez rester. Le mois dernier, j’ai eu le malheur de recevoir quelqu’un qui vous ressemblait et qui a filé avec mon meilleur cheval. Si jamais je le rencontre, il aura un trou dans le ventre. — Et le vieillard referma la porte avant qu’il eût pu répondre.

Morton, avec un gros soupir, tourna la tête vers la rivière. Il n’y avait pas de bac. Sur la rive opposée, on distinguait une route. Il remonta le courant autant qu’il put avant de mettre Dolly à la nage ; la pauvre bête faillit néanmoins être emportée par les eaux rapides ; mais avec un instinct admirable elle lutta et parvint à gagner le bord escarpé juste au-dessous de la route, qu’elle atteignit en rassemblant ce qui lui restait de forces. La neige s’épaississait lorsque la jument et son cavalier s’arrêtèrent devant une autre cabane isolée. Cette fois, une vieille femme lui permit de mettre Dolly à l’écurie. Malheureusement son fils se trouva être dans des dispositions moins hospitalières. — D’où venez-vous ? demanda-t-il.

— D’Hissawachee.

— Où allez-vous ?

— Je ne sais pas au juste.

— En vérité ?.. Ma foi, monsieur, le cheval est trop beau pour être monté par un vagabond qui ne sait où il va. Cherchez gîte ailleurs. Nous pourrions nous repentir de vous avoir reçu.