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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/884

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Encouragé par ce premier succès, le jeune écrivain se remit à l’œuvre, et produisit coup sur coup quantité de livres utiles et sérieux[1]. Il suffit d’en lire les titres pour admirer la verve, l’activité studieuse de cet esprit sans cesse en mouvement. Nous venons de parcourir en grande partie ses œuvres imprimées ou inédites, et nous reconnaissons que Gorani, comme écrivain, était de son temps, bien qu’il l’ait très souvent devancé. S’il n’eut jamais de principes, ni peut-être même d’opinions, il eut du moins des idées, souvent fraîches et jeunes, et les mit en circulation au bon moment ; à ce titre, la notoriété qu’il acquit fut méritée. Il avait beaucoup vu, beaucoup lu, connaissait les langues (en particulier l’allemand, qui de son temps n’était guère étudié), connaissait aussi les hommes, s’était glissé partout et n’était resté nulle part, avait été mêlé à quantité d’affaires secrètes, et, nourri dans les coulisses de la politique, en savait fort bien les détours ; de là dans les moindres de ses écrits beaucoup de petits traits et de petits faits qui peuvent instruire encore. Dans les Mémoires secrets, le volume sur Naples par exemple est d’un observateur un peu bavard, mais très curieux, qui avait l’œil bien ouvert. Il s’intéressait à beaucoup de choses, et dans ses nombreux voyages rien n’échappait à son attention : ni le paysage, ni l’agriculture, ni les monumens des villes, ni les mœurs des citadins et des paysans ; il savait écouter, regarder, retenir, et, s’il s’était donné le temps de rédiger ce qu’il notait en courant, il eût pu nous laisser d’intéressans volumes de voyages. Il eut ce malheur d’être employé aux intrigues plutôt qu’aux événemens, d’user son esprit aux petites affaires et probablement aux affaires douteuses, et il y prit l’habitude commune aux esprits fins, mais un

  1. Voici une liste des ouvrages de Gorani moins incomplète que celles qu’on a données jusqu’ici : Il vero Dispotismo, Genève, Philibert et Chirol, 1770, — Imposta seconda l’ordine della natura, — Essai sur l’éducation publique, — Mes Tentatives pour obtenir des mulets de différens genres d’insectes. Nous ne savons si ces deux derniers ouvrages ont été publiés. — Elogio di Bandini, imprimé en 1778, — Elogio di Redi, Sienne 1782, quatre éditions, — Ricerche sulla sciensa dei Governi, imprimé à Milan en 1771 avec la fausse date de Lausanne, — Lettres aux souverains sur la révolution française, Paris 1793, — Mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernemens et des mœurs des principaux états de l’Italie, Paris, Buisson, 1793, 3 vol. in-8o. — Lettres aux Français, Francfort, avec la fausse date de Londres 1794. — Les dictionnaires de biographie signalent encore, comme un ouvrage très rare de notre auteur, un volume intitulé Prédictions de Jean Gorani, citoyen français, sur la révolution de France. Ce n’est qu’une contrefaçon des fameuses Lettres aux souverains citées plus haut, et Gorani dut ignorer cette publication, où on le nomme Jean au lieu de Joseph. Il a écrit de plus de longs mémoires inédits sur la Hollande, le Portugal, l’empire russe, sur les fromages, les engrais, la météorologie ; une Histoire de Genève, dont le manuscrit est conservé à la bibliothèque de cette ville, et l’interminable biographie d’un voleur d’église, qui avait été exécuté à Milan : 12 volumes d’écriture.