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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/22

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REVUE DES DEUX MONDES.

voulut pas s’en apercevoir. Il brisa le cachet et me remit le papier en disant : — Lisez donc !

Je lus :

« Montesparre, le 2 janvier 1846.

« Ma chère Rolande, j’ai à vous parler ; je serai à Paris dans quelques jours. Je descendrai à mon appartement, toujours le même, et je vous attendrai, car j’ai horreur de votre mari et ne veux pas le voir. Je ne vous parlerai pas de Salcède, je ne sais où il est. Je vous parlerai de moi. Vous devinez que j’ai besoin d’un service, et, quel que soit le passé entre nous, je vous connais trop pour croire que vous hésiterez. »          « Berthe. »

— Fort bien, dit le comte en reprenant la lettre. M me Berthe est consolée aussi et veut procéder à quelque autre mariage. M me de Flamarande n’a que faire de semblables confidences. Donnez-moi la cassette aux lettres.

J’objectai que toutes ces lettres supprimées constituaient une imprudence de la part de M. le comte. Mme de Montesparre venant à Paris, il était bien impossible que Mme la comtesse ne la rencontrât pas dans le monde, pour peu qu’elle y mît le pied. Ces dames ne manqueraient pas de s’expliquer, et la confiscation de leur correspondance éveillerait les soupçons de Mme de Flamarande.

— Vous êtes bien simple, me répondit le comte, si vous croyez que M me de Flamarande n’a pas deviné tout ce qui ne lui a pas été dit. Elle s’est confessée par son silence, elle a accepté son châtiment, elle a fait son devoir et réparé sa faute. Je veux qu’on la laisse tranquille désormais ; elle va fort peu dans le monde, elle acceptera sans regret de n’y plus aller du tout. Elle recevra chez elle, et Mme de Montesparre n’osera s’y présenter. Tout est bien ainsi ; mais vous ne me disiez pas, Charles, que la baronne était à Montesparre.

— Elle n’y était pas à mon dernier voyage.

— On la disait malade dans le midi, reprit le comte ; elle a maintenant des allures assez mystérieuses, quelque nouvelle passion sous roche ; elle en a trop pour être l’amie d’une femme qui n’en doit point avoir. Donnez l’ordre qu’on ne la reçoive pas, si elle se présente.

Je ne donnai point d’ordre, et huit jours se passèrent sans qu’on entendît parler de la baronne. Je m’informai comme par hasard à son hôtel, elle était arrivée ; mais huit jours s’étant encore écoulés sans qu’on la vît et sans qu’elle écrivît de nouveau, M. le comte pensa qu’elle avait renoncé à voir la comtesse, soit qu’elle fût justement blessée de son silence, soit qu’elle eût déjà oublié le désir,