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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/249

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FLAMARANDE.

secrètement, la comtesse avait insisté pour le remercier elle-même. Il paraissait avoir beaucoup repoussé cette entrevue malgré le violent désir qu’il avait de s’y rendre. Il craignait pour la réputation de la comtesse et n’avait cédé qu’à la condition que la baronne serait présente ; mais la baronne n’y alla pas. Elle lui avait écrit le lendemain une lettre fort significative.

« Non ! je n’ai pas eu le courage de vous voir à ses pieds, voilà tout ! Il ne m’est arrivé aucun accident. C’est volontairement que je vous ai manqué de parole. Je ne pensais pas que vous vous plaindriez de mon absence. Ah ! pardonnez-moi de souffrir ! vous m’avez entraînée dans un système d’héroïsme qui souvent dépasse mes forces. J’y persisterai, soyez tranquille, mais laissez-moi pleurer seule, et ne vous en inquiétez pas. Vous avez été heureux, vous l’êtes… C’est en même temps mon désespoir et ma consolation. »

Je cherchai en vain dans toute la correspondance une autre allusion à ce rendez-vous. Je dus me contenter de cette preuve, qui avait à mes yeux une grande importance.

Les lettres de 1848 et 49 ne me révélèrent aucune nouvelle entrevue de la comtesse avec Salcède ou avec Gaston ; mais elles trahissaient la passion, conçue ou rallumée, de M"’e Rolande pour Salcède, passion exaltée, mystique, qu’elle interprétait dans le sens d’une reconnaissance toute maternelle, mais qui ne donnait pas le change à la clairvoyante Berthe, car la comtesse lui disait: « Non, non, ne faites pas fausse route, mon amie, je n’ai point pour lui le sentiment que vous appelez amour, et, si c’est ce sentiment-là qu’il a jadis éprouvé pour moi et qui m’a été si fatal, mon pardon l’efface, mais ma conscience ne l’absout pas. Heureusement vous vous trompez, parce que vous ne comprenez pas ; non, vous ignorez cette amitié enthousiaste qui ne veut de l’être aimé que le plus pur de sa pensée. Il dit qu’il n’a pénétré chez moi (me croyant partie !) que pour prendre des fleurs dont j’avais aspiré le parfum ; un parfum, c’est quelque chose d’immatériel, c’est le contraire de ce que vous supposez ! Je ne veux pas croire, je ne crois pas qu’*7 ait un seul instant dans sa vie abjuré le respect dû à la femme de celui qui était son ami ; la désirer eût été un crime à ses yeux comme aux miens. Je sais que peu d’hommes sont capables de cet amour de l’àme qui exclut l’idée de possession coupable; mais ne connaissez-vous pas cet homme si pur, si scrupuleux et si loyal ? Toute cette vie studieuse et recueillie, cette vie angélique que vous admirez tant et dont vous me disiez : C’est une exception parmi les exceptions idéales, c’est le seul être au monde qu’on puisse vénérer absolument. Eh bien ! cette vie-là n’est-elle pas faite pour vous rassurer ? »