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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/254

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REVUE DES DEUX MONDES.

vées que la tienne, et voici que la tienne va s’éteindre misérablement dans ces ténèbres sans que personne te plaigne, car tu recueilles ce que tu as semé.

LI.

Je ne suis ni poltron, ni trop ami de mes aises ; mais j’ai senti dans ma vie une alternative de courage et de lâcheté selon que ma conscience me soutenait ou me résistait. En ce moment, elle était contre moi, car je me sentis défaillir et je m’évanouis. Je restai sans connaissance une demi-heure ou davantage, je ne saurais le dire. Quand le sentiment de moi-même me revint, je résolus de sortir à tout prix de cette horrible situation, et je me mis à ramper au hasard devant moi. Je n’eus pas franchi deux mètres que je me heurtai contre des marches. Je les tâtai, elles étaient en bois, et je sentais une rampe sous ma main : j’étais dans la cave du Refuge. Je parvins à faire flamber une dernière allumette et à me convaincre que j’étais bien revenu au point de départ. La porte du couloir, que j’avais franchie sans en avoir conscience, était ouverte derrière moi ; au-dessus de moi, la trappe du salon, que je soulevai facilement ; avec quelle joie je revis la lumière du jour !

Mais je baissai précipitamment cette trappe et retins ma respiration. On parlait dans la maison, et je saisissais la voix élevée d’Ambroise résonnant dans la cage.de l’escalier. Les réponses de Salcède étaient monosyllabiques, mais c’était bien sa voix, je n’en pouvais douter. Ils étaient rentrés par le dehors pendant que je m’égarais dans le souterrain, ou bien ils avaient passé par cette voie pendant que je la perdais pour aboutir à l’issue donnant sur le torrent.

J’entendis bientôt que l’on marchait dans le salon, et je saisis distinctement les paroles : — Qui donc a ouvert cette fenêtre ? disait Yvoine. — Tu auras oublié de la fermer, répondait Salcède. — On ferma la fenêtre, et Ambroise reprit : — À présent vous devriez faire un bon somme, monsieur Alphonse, vrai, vous êtes fatigué. — Un peu en effet, je vais dormir une heure, je travaillerai après. — Si vous aviez faim, voilà le panier, que j’ai apporté. — Laisse-le là, merci. N’oublie pas que l’enfant ne doit pas venir ici, c’est trop loin. — Je le ferai patienter. — Je le verrai à trois heures. Prends par l’espélunque, c’est plus court.

Je savais assez de latin pour comprendre que l’espélunque était un mot patois signifiant le souterrain. Ambroise allait donc lever la trappe et descendre. Mon premier mouvement fut de le devancer dans le souterrain afin de me dissimuler à l’endroit convenable et de le suivre quand il serait passé ; mais une invincible horreur des ténèbres me retint. D’ailleurs le temps manquait. Je me blottis sous