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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/273

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FLAMARANDE.

En somme, les années s’écoulaient sans qu’aucune tentative fût faite en ce sens, et sans que Mme de Flamarande fît des absences possibles à constater. Je fis avec moi-même un compromis qui me rendit le calme intérieur. Je n’étais point rigoriste par système. Rien ne m’empêchait d’être l’ami discret et dévoué d’une femme excellente et charmante qui, mariée à un homme bizarre, avait cédé à un adolescent plus aimable et le gardait pour amant. Le fils de l’adultère exilé par le mari, non rappelé par la mère, adopté par le père véritable, tout cela pouvait être toléré, et je n’avais point à m’en mêler. J’avais craint qu’on ne voulût m’engager à protéger cette intimité illicite et à introduire l’enfant illégitime dans la famille légale. Rien de pareil ne s’était produit. Je pouvais désormais être en paix avec moi-même, subir sans effroi le doux ascendant de la bonté loyale, me pardonner d’en avoir douté au point de chercher contre elle, à tout prix, des armes exceptionnelles, me retremper enfin dans un milieu où mes facultés tr.ip longtemps refoulées trouvaient tout le développement qu’elles pouvaient espérer.

LVI.

M. de Flamarande s’était imposé la tâche de venir voir sa femme et son fils deux fois par an, l’hiver à Paris, l’été à Ménouville. Lorsqu’il y vint en 1856, il me dit : — Je sais, Charles, que vous vivez à présent de pair à compagnon avec mon fils et sa mère. Je n’y trouve point à redire. Comme je ne veux pas que les plaisirs du monde pénètrent ici et que j’ai réglé la dépense annuelle en conséquence, je ne suis pas fâché qu’on sache ne point s’ennuyer dans son intérieur. Une vie plus dissipée, ajoutée à la dissipation naturelle de Roger, rendrait son éducation impossible. Quant à vous, plus vous verrez de près ce qui se passe, plus je serai tranquille. Vous ne me dites plus tout ce que vous savez. Je ne vous le demande pas, mais je suis certain que vous sauriez empêcher des entrevues irrégulières. Ne me répondez pas ; je sais que l’enfant de Flamarande et sa mère ne sont plus étrangers l’un à l’autre. Je sais, bien que vous m’en ayez fait mystère, que le père élève le fils, et que par conséquent on n’a pas la prétention de me l’imposer. Tout est bien ainsi, on me donne la satisfaction qui m’était due et que je souhaitais. Laissez donc toute liberté aux entrevues de Flamarande ou d’ailleurs ; pourvu que ni le père ni le fils ne paraissent jamais chez moi, je n’en demande pas davantage.

M. de Flamarande ne me permit pas de répondre, et s’en alla comme de coutume en raillant Roger de son ignorance et de sa légèreté.