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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/279

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FLAMARANDE.

Il me sembla que Mme de Flamarande levait le masque et s’abandonnait à moi en toute confiance.

LVII.

À partir de ce jour, Mme de Flamarande m’entretint de ses peines. Elle les sentait plus vivement depuis qu’elle était séparée de Roger, et, n’étant plus forcée par sa présence de les renfermer, elle avait besoin de me les dire. J’eus ainsi toute la révélation de sa vie de contrainte et de secrète irritation. Elle n’était pas une victime aussi passive que je l’avais cru. L’amour maternel lui avait donné des forces surhumaines pour surmonter sa douleur, mais elle n’en avait pas moins ressenti violemment ce qu’elle appelait l’injure qui lui avait été faite, et sur laquelle je trouvais qu’elle revenait trop souvent. Je ne pus m’empècher une fois de le lui dire et de lui avouer que, la cherchant et la suivant partout pour lui parler de Gaston, dans un temps où je la croyais calomniée, j’avais surpris son rendez-vous au bois de Boulogne avec M. de Salcède.

Je fus stupéfait de l’assurance avec laquelle elle me dit en me regardant en face : — Eh bien ! si vous avez entendu ce que je lui disais, tant mieux. Trouvez-vous étonnant que j’aie donné le plus pur de ma tendresse à un homme qui me rendait mon fils et qui lui donnait toute son existence ? Cherchez donc un autre homme dans le monde qui, même étant le père de cet enfant, lui eût ainsi tout sacrifié jusqu’à aller vivre en paysan dans un désert de neige pour le voir tous les jours et l’instruire lui-même paternellement ! Est-ce M. de Flamarande qui a eu pour Roger ces soins assidus et cette tendresse immense ? On s’en étonnerait peut-être moins chez un vieillard ; mais M. de Salcède était presque un enfant lui-même quand il s’est consacré à mon enfant. Il a été véritablement un ange, et je ne lui aurais pas dit que je l’aimais de toute mon âme ! Est-ce que vraiment, Charles, vous me blâmeriez d’avoir vu en lui depuis ce jour mon meilleur ami ?

Elle parlait avec tant de conviction que je ne trouvais rien à lui répondre à moins de briser les vitres. Elle semblait me dire : — Eh bien ! oui, je l’ai aimé le jour où j’ai su que j’étais torturée à cause de lui. Jusque-là j’étais innocente, et Gaston est légitime ; mais l’effet des accusations injustes de mon mari a été de me jeter dans les bras d’un homme plus digne de ma passion.

Si j’avais pu croire que cela fût vrai, je lui aurais donné l’absolution ; mais la preuve que j’avais du contraire ! Je ne pouvais pas la lui mettre sous les yeux, cetie preuve que je rougissais d’avoir conquise. Je ne me sentais capable de la montrer que dans un cas de péril extrême pour Roger.