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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/304

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d’Empédocle et de Lucrèce, pour arriver jusqu’à nos jours, non sans avoir asséné en passant de rudes coups sur la réputation scientifique d’Aristote, il exprima ses vives sympathies pour les théories de Darwin, la psychologie de Spencer, et revendiqua fièrement pour elles le droit d’existence, non pas du tout comme s’il s’agissait de doctrines indiscutables, au contraire, mais sans permettre un seul instant à la théologie d’intervenir dans le jugement définitif. Ce sont bien plutôt, selon l’orateur, les élémens cosmologiques des doctrines religieuses qui doivent comparaître au tribunal de la science pure. Lorsque la théologie se croit obligée d’affirmer une certaine manière de comprendre la nature, la vie, ses origines et ses phénomènes, elle se condamne par cela même à relever des sciences de la nature et de la vie, et tant pis pour elle lorsque celles-ci se prononcent en sens opposé. En s’aventurant sur un terrain qui n’est pas le sien, elle s’expose volontairement à ce grave danger. Du reste, nul plus sincèrement que M. Tyndall ne reconnaît le bon droit du sentiment religieux à côté des prétentions non moins légitimes de la raison et de la science, et celui, dit-il, qui parviendrait de nos jours à donner au sentiment religieux une satisfaction à laquelle la raison n’aurait rien à objecter, celui-là « aurait résolu le problème par excellence de notre âge. » On ne peut que rendre hommage à la loyauté avec laquelle l’éminent physicien met en regard l’une de l’autre les deux faces de la question, si souvent sacrifiées l’une à l’autre par les ardens de l’extrême droite et de l’extrême gauche, car ce n’est pas seulement à droite qu’il y a de l’étroitesse, de l’aveuglement et, pour tout dire, du fanatisme.

Il est entre autres un curieux fragment du discours de Belfast dans lequel, sous une forme ingénieuse, M. Tyndall a représenté un disciple de Lucrèce défendant les principes physiques de son maître contre un partisan intelligent et courtois des doctrines spiritualistes. Il a pris pour champion idéal du spiritualisme l’évêque Butler, auteur d’un traité longtemps fameux sur l’Analogie de la religion naturelle et révélée avec la constitution de la nature (1756), très estimé encore aujourd’hui en Angleterre pour sa sagacité, sa modération et sa vigueur comme logicien. C’est un des pères, et l’un des plus respectés, de l’église anglicane. Capable d’écouter en toute chose le pour et le contre, il ne trouva jamais qu’un anathème pût tenir lieu d’une bonne raison.

Au chapitre de la nature humaine, Butler tenait, comme tous les spiritualistes de son temps, à la distinction tranchée, absolue, de l’organisme corporel et du moi. Nos corps, disait-il, ne font pas plus partie de nous-mêmes que toute autre matière qui nous entoure. Par exemple, s’il s’agit de notre perception des couleurs et