Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus qu’il y a dans l’être humain d’autres facultés qu’on ne peut pas expliquer comme l’intelligence par l’accumulation d’expériences séculaires. Il y a l’amour, antérieur sous toutes ses formes à toute expérience; il y a le respect, l’admiration, le sens du beau dans la nature et dans l’art, il y a le sentiment religieux antérieur à toute histoire. Lui aussi a droit à une réponse. La seule chose que nous devions toujours lui refuser, c’est le droit de tyranniser l’intelligence. N’ayons pas peur de ceux qui voudraient aujourd’hui nous enchaîner en son nom. Nous avons livré et gagné nos batailles au moyen âge; comment craindrions-nous l’issue d’une lutte nouvelle avec notre adversaire affaibli? Il faut seulement comprendre le monde assez largement pour que l’intelligence et le sentiment, Newton et Shakspeare, Galilée et Raphaël, Kant et Beethoven, aient également leur place au soleil. Ces deux catégories ne sont pas opposées, elles se complètent; elles doivent non pas s’exclure, mais s’associer. Et si l’esprit humain, plus ambitieux encore, avec la sympathie du pèlerin songeant à sa maison lointaine, se tourne toujours vers le mystère dont il est sorti, cherchant à le concevoir, de manière à fonder l’unité de la pensée et de la foi, — tant qu’il le fera sans intolérance et sans fanatisme, tant qu’il reconnaîtra que là surtout l’immutabilité des notions est une chimère, — saluons dans ce sublime effort le plus noble exercice de cette faculté créatrice que nous pourrions distinguer sous ce nom de la faculté de connaître. « Ici, dit en terminant M. Tyndall, j’aborde un sujet trop élevé pour que j’ose le traiter moi-même; mais il sera encore traité, soyez-en sûrs, par les plus fiers esprits de notre race, lorsque vous et moi, comme les vapeurs d’un nuage matinal, nous aurons depuis longtemps disparu dans l’azur infini du passé. »


IV.

Me tromperais-je? Il me semble que nous pourrions tous profiter de cette éloquente revendication du bon droit de la science associée à la reconnaissance impartiale du bon droit parallèle des autres aptitudes de l’esprit humain. Nous connaissons, nous aussi, de ce côté de la Manche, le conflit de la science et de la foi. Il se déroule d’une manière moins pacifique et moins digne qu’en Angleterre. A plus d’une reprise, nous nous sommes sentis humiliés dans notre fierté nationale par les entraves que l’étroitesse religieuse réussissait à imposer aux libres mouvemens de la pensée scientifique. Ils ne manquent pas non plus chez nous, les absolutistes qui voudraient river des chaînes que nous avions crues à jamais brisées par nos pères. D’autre part, je renverrais volontiers certains matérialistes