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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/33

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FLAMARANDE.

étouffée par la volonté, soutenue par l’espoir d’une éclatante réparation. Voilà pourquoi j’aurais voulu avoir des preuves contre elle, afin de pouvoir lui dire en temps et lieu : — Soumettez-vous à l’arrêt de votre mari, ou je vous livre au jugement de l’opinion. Enfin je me calmai. Les preuves n’arrivaient pas. J’en étais réduit à me dire que Mme la comtesse était beaucoup plus forte que moi pour mener une intrigue et cacher un secret.

XLV.

Je me tenais tranquille depuis longtemps, découragé et n’observant presque plus rien, lorsque M. le comte eut affaire en Angleterre et s’y rendit sans me prescrire de l’accompagner. Je crus deviner qu’il voulait y installer sa maîtresse, et que ma présence le gênait. Je ne lui avais pas dissimulé combien je blâmais cette liaison et combien peu de cas je faisais des femmes entretenues. Il me laissa donc à Paris auprès de Mme la comtesse, qui était souffrante d’une bronchite et qui attendait d’être guérie pour retourner en Normandie avec le printemps ; mais, au lieu de guérir, elle parut plus malade et garda souvent la chambre. Julie n’était plus à son service. Elle avait voulu se marier, et madame lui avait fait un sort. Elle l’avait remplacée par Mlle Hurst, une vieille fille anglaise, qui parlait couramment plusieurs langues étrangères et qui était fort utile à Roger. Hélène Hurst était une personne douce et froide, qui parlait français avec difficulté et avec répugnance, disait-elle, mais qui au fond n’aimait pas la conversation et se méfiait de moi. Il m’était devenu à peu près impossible de savoir à quoi s’occupait madame, et si elle était malade en réalité.

Une fois elle gardait la chambre et même le lit, au dire d’Hélène, lorsque, me sentant surpris et impatienté de cette claustration, je me hasardai à montrer de l’inquiétude et à demander pourquoi Hélène n’appelait pas le médecin. — Madame ne veut pas, répondit l’Anglaise ; elle suit ses prescriptions, elle se préserve du froid et s’abstient de parler. — Là-dessus elle me tourna le dos et entra dans l’appartement de madame, portant une théière et fermant soigneusement chaque porte après elle.

Je n’avais aucun prétexte pour la suivre, et jamais je ne pénétrais dans les appartenons de madame ; je n’avais même plus l’occasion de la voir, car je ne menais plus Roger à la promenade. Il avait huit ans, et M. le comte lui avait donné un précepteur, bien qu’il n’en eût aucun besoin et que sa mère lui eût donné autant d’instruction que son âge en comportait. Ce précepteur était une espèce