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sur son audace parlementaire. Il avait tant redouté un reproche d’un autre genre, qu’il se sentit tout heureux d’avoir paru manquer de modestie.


II

Entre la bataille livrée à Sommo-Sierra le 30 novembre 1808 et la remise des drapeaux faite au corps législatif le 22 janvier 1810, notre récit ne devait pas subir d’interruption. Il faut maintenant retourner un peu en arrière pour suivre Ségur pendant l’année 1809. C’est l’année de la seconde campagne d’Autriche. La première s’était terminée à Austerlitz le 2 décembre 1805, la seconde finit à Wagram le 6 juillet 1809. Ségur, qui avait pris une si grande part à la première, qui avait discuté avec le maréchal Mack la capitulation d’Ulm, qui avait si vaillamment combattu à Austerlitz et vu de près tant de scènes mémorables, fut retenu en France par ses blessures pendant toute la durée de la seconde. S’il fait le tableau des grandes opérations militaires de 1809, s’il raconte les batailles d’Eckmuhl, d’Essling, de Wagram, n’y cherchez pas de souvenirs personnels, il est forcé, bien malgré lui, de s’en tenir aux notes que lui ont fournies ses compagnons d’armes. Son récit est fort curieux encore, il contient parfois des détails qui ne sont point ailleurs, il donne du relief à certains traits du caractère de Napoléon, et, quand nous résumerons le jugement que Ségur a porté sur l’empereur, nous ne négligerons pas cette partie de ses Mémoires ; en ce moment, c’est lui-même qui nous attire, c’est sa personne et sa destinée que nous essayons de mettre en lumière.

Malgré cette fête pompeuse de la remise des drapeaux espagnols aux représentans de la France, la guerre d’Espagne était pleine de signes funestes qui n’avaient point échappé aux esprits clairvoyans. M. de Talleyrand s’apercevait bien que l’étoile du maître pâlissait. Il avait prononcé à ce sujet certaines paroles qui firent rapidement leur chemin. Lors même qu’il n’eût rien dit, ses actes auraient parlé. On remarquait chez l’ancien évêque d’Autun une disposition singulière à renouer des relations avec Fouché. Bref, dès son retour d’Espagne à Paris le 23 janvier 1809, l’empereur considérait Talleyrand et Fouché, non pas comme des hommes déjà prêts à le trahir, mais comme des esprits de mauvais augure dont il fallait se défier. Il exagéra même ses griefs, comme c’était sa coutume, cherchant un prétexte de réprimer par des éclats de colère les personnes dont il avait à se plaindre. Il fit subir à Fouché une scène terrible, sans lui enlever toutefois le ministère dont il l’avait chargé. Quant à Talleyrand, ce fut en plein conseil qu’il éclata