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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/375

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Napoléon et de la grande armée pendant l’année 1812. Il ne manque à cette reproduction qu’une seule chose, l’épigraphe si expressive que l’auteur avait inscrite à la première page de son œuvre :

Quanquam animus meminisse horret, luctuque refugit,
Incipiam…


Ces mots indiquaient tout d’abord à quel genre appartient l’Histoire de M. de Ségur, c’est un récit épique. L’accent des paroles, le mouvement du style, la construction de l’ensemble, tout rappelle les scènes de l’épopée. L’auteur dédie son travail aux Vétérans de la grande armée. C’est pour eux, c’est pour leur consolation et pour la sienne qu’il retrace le tableau de ces prodigieuses aventures. C’est leur témoignage qu’il invoque : « Compagnons, ne laissez pas se perdre de si grands souvenirs achetés si cher, et qui sont pour nous le seul bien que le passé laisse à l’avenir. Seuls contre tant d’ennemis, vous tombâtes avec plus de gloire qu’ils ne se relevèrent. Sachez donc être vaincus sans honte ; relevez ces nobles fronts sillonnés par toutes les foudres de l’Europe ! » Voilà le ton du livre, ou du moins l’aspect général du cadre, car au milieu de ces formes solennelles il y a place pour un grand nombre de récits vigoureux et sobres, dans lesquels l’émotion contenue de l’écrivain ne nuit pas à la précision de la géométrie guerrière. C’est une œuvre d’art qui fait penser aux vastes compositions de Gérard et de Gros, mais c’est aussi une narration exacte où le détail des choses est étudié avec le soin le plus scrupuleux. Il est clair toutefois que ces majestueuses allures ne se prêtent pas aux confidences particulières. Le récit prend un caractère impersonnel. Nous qui cherchons Ségur, nous voyons bien qu’il est présent dans telle ou telle bataille, nous savons bien qu’il prend part aux actions les plus décisives, nous devinons par exemple ce qu’il a dû faire au combat de Malo-Jaroslavetz, c’est-à-dire le jour même où Napoléon après tant de victoires non-seulement infructueuses, mais écrasantes, est obligé de battre en retraite ; oui, nous devinons, nous découvrons Ségur, lorsqu’au milieu de son récit il s’interrompt subitement et crie à ses compagnons : « Vous le rappelez-vous, ce champ funeste, où s’arrêta la conquête du monde, où vingt ans de victoires vinrent échouer, où commença le grand écroulement de notre fortune ? Vous représentez-vous encore cette ville bouleversée et sanglante, ces profonds ravins, les bois qui environnent cette plaine haute et en font comme un champ clos ?.. » Assurément Ségur est là, je pourrais citer cent autres passages où l’on sent bien qu’il est à son poste, tantôt transmettant les ordres de l’empereur, tantôt les faisant exécuter,