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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/45

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FLAMARANDE.

mieux croire à la vieille légende qui fait apparaître une dame blanche dans la tour de Flamarande. Ils ajoutent qu’elle revient pour protéger Espérance, et que c’est signe de prospérité pour la maison.

« Chère amie, le facteur n’emportera ma lettre que demain ; l’heure est passée pour aujourd’hui. J’y ajouterai un post-scriptum s’il y a lieu. Je vais, comme tous les jours, dîner chez les Michelin, et je passerai encore cette nuit au manoir. À vous de toute mon âme.

Alphonse. »


Cette première lettre lue, cette première preuve acquise, je me sentis tout à fait calme et en mesure de procéder à un inventaire complet des papiers de M. de Salcède. Il ne devait rentrer chez lui que le lendemain. J’avais toute la soirée et toute la nuit pour me livrer à mes recherches en toute sécurité. La lettre me renseignait sur toutes choses. L’exploration de la maison m’avait prouvé que maître Yvoine n’y avait pas de gîte. Il vivait au donjon, auprès de l’enfant, que M. de Salcède avait fait installer là comme étant un local plus sain et mieux aéré que la demeure des fermiers. Yvoine était venu au Refuge dans la journée chercher quelque chose pour M. de Salcède ; il avait toute sa confiance. Il n’avait pas remarqué la fenêtre du salon restée ouverte, et n’avait pas de raison pour revenir avant le lendemain. Il n’y avait pas de feu dans la maison, mais il y avait de quoi en faire. Le jour baissait, mais il y avait des bougies sur les cheminées. J’étais à jeun après une course pénible ; je regardai dans les armoires. Comme il n’y avait pas de cuisine et qu’évidemment M. de Salcède ne prenait point ses repas chez lui afin de n’avoir pas l’espionnage d’une servante, il devait avoir quelque part un en cas quelconque, soit pour lui, soit en vue de la récente visite de la comtesse, qui n’en avait pas profité, puisqu’elle n’était pas venue chez lui.

En effet je trouvai au salon du pain très durci, une terrine de Périgueux non ouverte et des confitures intactes ; mais j’étais, en présence de ma découverte inespérée d’un amas de preuves, aussi surexcité que madame auprès du lit de son fils. Je n’avais ni faim, ni froid, ni soif, ni sommeil. Après avoir constaté que l’appréhension de quelque malaise physique ne viendrait pas troubler ma lucidité, je poussai soigneusement les contrevens. J’allumai deux bougies et je m’installai au bureau de Salcède. Un silence absolu, solennel, planait sur la solitude de Mandaille. De temps à autre seulement un bruit lointain d’écroulement sourd m’annonçait la chute d’une avalanche au flanc des montagnes.

George Sand.

(La quatrième partie au prochain no.)