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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/50

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son large libéralisme, quelques-uns lui font une réputation de sceptique, on peut dire au contraire que personne ne croit plus que lui à la raison humaine, à la vérité et au droit. Lui-même a exprimé avec éloquence quels sentimens l’ont conduit à la philosophie, quelle satisfaction son âme y a trouvée, quel rempart contre les tristesses et les découragemens de sa jeunesse. « Jugez, disait-il à M. Jules Favre lors de la réception de celui-ci à l’Académie française à la place de M. Victor Cousin, jugez de ce que nous dûmes ressentir lorsque, dans les modestes asiles de l’enseignement public, nous vîmes s’élever devant nous un jeune homme ardent et grave, solennel et passionné, qui, du haut de la chaire des maîtres, nous dit d’une imposante voix : Reprenez courage et relevez vos âmes. Rien n’est perdu de ce qui est sacré. Les jeux de la force et de la fortune n’ont pas de prise sur la vérité. Au-dessus de la politique et de la guerre, la philosophie vous montre l’idée inaltérable du droit, dont la politique et la guerre doivent être les servantes, si elles ne veulent être méprisables. Que tout ce qui a péri vous ramène à ce qui ne périt pas; les yeux fixés sur le droit, consacrez-vous à sa cause. Revenez aux doctrines qui, dans la contemplation des vérités nécessaires, retrouvent la divine origine de la raison, et lui rendent ses prérogatives en même temps que ses lois. » Cette foi dans la raison, dans le droit, dans la liberté, qui peut être violée, mais non étouffée, est toujours pour M. de Rémusat la philosophie elle-même; cette consolation des douleurs patriotiques qu’a traversées sa jeunesse est encore pour lui la consolation des épreuves bien autrement douloureuses de ses dernières années.

Nous n’aurions pas fait connaître tous les traits remarquables du talent philosophique de M. de Rémusat, si nous n’en signalions encore deux : l’un qui s’explique naturellement, l’autre qu’il est permis de trouver étrange et que l’on doit noter particulièrement. Le premier de ces traits, c’est le goût de l’histoire et de la biographie en philosophie. Homme d’état, quoi de plus naturel qu’il ait du goût pour cette partie de la philosophie qui touche aux choses humaines, à l’histoire, à la religion, à la politique? Homme du monde et lettré délicat, quoi d’étonnant qu’il voie dans les philosophes autre chose que des idées pures, qu’il s’intéresse à leur vie, à leurs aventures, à leur caractère, à leur genre d’esprit? Historien de la politique anglaise au XVIIIe siècle, il l’a surtout étudiée dans quelques biographies profondément fouillées, dans ce curieux et original Bolingbroke, l’ami de Voltaire, l’un des maîtres de la libre pensée en Angleterre, demi-jacobite, demi-hanovrien, et dont le nom reste attaché pour nous à la paix qui a sauvé en 1713 l’intégrité de la France, dans cet autre personnage non moins curieux, mais plus suivi et plus profond, qui a été l’un des fondateurs