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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/502

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place pour lui, les deux chevaux et le postillon. Il demanda où était l’échelle pour gagner les hauteurs d’une pareille citadelle, puis, prenant son élan du milieu de la chambre, il bondit sur les matelas en disant que c’était indubitablement la manière de se coucher des anciens preux de Flamarande. Il riait et jouait malgré lui, le pauvre enfant ! J’étais triste en songeant que son père avait arrangé sa vie de manière à faire de sa mort une délivrance pour les siens et même pour ce fils auquel il avait longtemps voulu tout sacrifier.

LXII

À huit heures, il fut sur pied et alla trouver sa mère au donjon. Moi, j’eus à surveiller les apprêts de la cérémonie. Le prêtre, qui n’était pas jeune, n’avait pu veiller toute la nuit. C’est l’obligeant et infatigable Ambroise qui, sans vouloir appeler personne, était resté seul dans la chapelle jusqu’au jour. Je l’y trouvai agenouillé avec l’apparente piété du paysan, mais dormant avec l’insouciance du bohémien habitué à tous les événemens et à tous les gîtes. Si le pays de Flamarande eût été tant soit peu peuplé, la cour du manoir eût été trop petite pour contenir les assistans, car tous les habitans et pasteurs des montagnes environnantes laissèrent leurs occupations pour voir le spectacle d’un enterrement seigneurial. Ce ne fut pourtant pas la curiosité seule qui les attira. Je sus qu’ils étaient flattés de voir installer dans leur désert les tombes de leurs anciens seigneurs, et qu’ils regardaient comme un acte de déférence envers eux la volonté dernière de M. le comte. Michelin s’en montrait particulièrement flatté. Le manoir dont il était le gardien lui paraissait prendre par ce fait une réelle importance, et il n’eût pas fait bon manquer de recueillement ou de gravité pendant la cérémonie : il eût expulsé quiconque n’eût point eu un maintien de circonstance.

Mme la comtesse avait invité toutes les personnes qui, de près ou de loin, avaient eu des relations avec le défunt, et toutes celles qui étaient liées avec Mme de Montesparre. Il arriva donc une vingtaine de nobles et de bourgeois, qui en patache, qui à cheval, car les voitures de luxe ne pouvaient gravir les chemins de Flamarande. Deux prêtres des environs vinrent assister le curé de Saint-Julien. J’avais apporté une quantité de crêpes et de bougies. L’architecture romane de la petite chapelle disparut sous les tentures de deuil, et on dut laisser les portes ouvertes, le vaisseau ne pouvant contenir tout le monde.

Quand le service commença, M me de Flamarande, Roger et Mme de Montesparre, tous en grand deuil, ainsi qu’Hélène et l’abbé Ferras, arrivé au dernier moment, occupaient la tribune seigneuriale, qui