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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/514

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je ne veux pas partir sans toi, répondit madame. Il y a si longtemps que je ne t’ai vu ! J’aime mieux rester un jour de plus.

— Et, jetant sur moi un regard qui faisait allusion à Gaston, elle ajouta : — Vingt-quatre heures de plus, c’est bien peu !

Heureusement Mme de Montesparre ne céda pas. — Votre mère a été extrêmement souffrante, on peut même dire malade aujourd’hui, dit-elle à Roger ; je ne comprends pas que vous insistiez pour qu’elle reste dans cet endroit triste et dans ce pays froid, quand il vous est si facile d’y revenir de Montesparre dans quelques jours d’ici !

Roger céda, mais il taquina Mme de Montesparre. Il la connaissait depuis longtemps ; il l’avait vue à Paris, chez sa mère, où elle avait reparu à partir du moment où le comte avait habité Londres, et Roger avait d’autant plus d’amitié pour elle que le comte de Flamarande avait parlé d’elle avec dédain. Cependant, des insinuations ironiques de son père, il lui était resté quelque chose comme l’idée que la baronne avait une affaire de cœur en Auvergne, et, ce jourlà, ayant vu le beau Salcède, il ne cessait pas de faire allusion à sa chevelure blanche et à son costume marron. Comme il avait de l’esprit et le sens de la bonne compagnie, il n’était jamais blessant, d’autant plus qu’il trouvait la baronne fort jolie et mêlait la galanterie à tous ses quolibets, si bien que la baronne ne pouvait se défendre d’en rire, et la comtesse aussi pour dissimuler peut-être le malaise qu’elle en ressentait.

— Madame la comtesse, lui dis-je tout bas dans un moment où Roger était sur le balcon avec la baronne, il faut partir, et le plus tôt possible, Roger se prend d’amitié pour Gaston !

— Chers enfans ! répondit-elle ; le bonheur de les voir s’aimer me sera donc refusé aussi !

Roger se retira à huit heures, résigné à partir le lendemain matin. La comtesse me retint pour me dire : — Je ne peux pourtant pas quitter Flamarande sans savoir ce que M. de Salcède aura dit à Gaston pour l’engager à retarder ce mariage, auquel ni lui ni moi n’avons encore consenti. Avons-nous le droit, l’un ou l’autre, de laisser le comte, le véritable comte de Flamarande, épouser une petite villageoise sans savoir au moins ce qu’il fait et à quelle autre situation il pourrait prétendre ? Non, nous ne le pouvons pas, nous ne le devons pas ; vous-même, Charles,… aucun de ceux qui sont en possession du secret de sa naissance n’est libre devant Dieu et devant les hommes de l’abandonner ainsi aux hasards de l’existence. Pour moi, quoi qu’en dise M. de Salcède, et malgré la haute déférence que j’ai pour son avis, malgré la baronne et ma confiance en sa tendre amitié, je ne sais pas me résoudre à sacrifier Gaston et à le laisser tromper. S’il découvre la vérité, et il la découvrira, n’en