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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/522

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REVUE DES DEUX MONDES.

sentier découvert. Ils semblaient arrêtés, et, en nous arrêtant nous-mêmes y en écoutant avec attention, nous saisissions leurs paroles dans l’air sonore et pur. — Non, disait Charlotte, je n’irai pas plus loin. Si j’entendais M. Alphonse te dire non, je n’aurais pas le courage d’être fière, je pleurerais trop, je lui paraîtrais lâche.

— Il ne dira pas non, répondit Espérance. Je ne dépends que de ma mère ; elle dira oui.

— Tu ne sais pas ! Si elle disait non ! j’aimerais mieux mourir que de te voir fâché avec ta mère… — La réponse nous échappa, car ils se rapprochèrent en parlant, et nous nous étions rangés du sentier en nous dissimulant dans les roches éparses. Charlotte passa si près de la comtesse que celle-ci ne put résister au mouvement de son cœur. Elle étendit les bras, saisit le cou de la jeune fille et l’embrassa au front. Charlotte, effrayée par cette ombre noire, se jeta dans les bras de Gaston, qui s’écria : — N’aie pas peur, c’est ma mère !

La comtesse avait déjà disparu. — Ah ! dit Charlotte, et je ne la vois pas ! Où est-elle ? Je veux la voir !

— Jamais ! répondit Espérance avec force. Aime-la sans la connaître ! Elle consent, viens. Ma mère,… je ne vous vois pas non plus ; soyez bénie, je vous adore !

II entraîna sa fiancée, et M rae de Flamarande, vivement émue, prit mon bras pour rentrer. — Ah ! madame, lui dis-je, que vous êtes impétueuse et spontanée ! Je m’explique le caractère de Roger.

— Ne me grondez pas, bon Charles, répondit— elle avec une douceur pénétrante, je n’ai pas toujours ma tête. Que voulez-vous ? J’ai tant souffert dans ma vie ; on a tant abusé avec moi du premier mouvement ! Il y a des étonnemens, des indignations, qui ébranlent la raison… Aussi quand l’occasion de réparer se présente, l’occasion de donner de la joie à ceux que l’on a voulu briser,… non, non, je ne peux pas la laisser échapper !

— Vous ne craignez pas que Charlotte ne devine qui vous êtes ? Quelques jours de patience et sachant la comtesse partie, elle n’eût pas deviné la mère inconnue.

— Si Charlotte devine, elle se taira. Ne me mettez pas en méfiance de ceux que j’aime !

Je la reconduisis jusqu’à son appartement, et je retournai auprès de Roger, qui dormait profondément.

George Sand.

(La sixième partie au prochain no.)