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s’y pressent sans ordre, celles d’aujourd’hui coudoyant celles d’autrefois ; les sépultures humiliées des Juifs, enfouies çà et là sous des morceaux de pierre de rebut, se consolent à l’ombre des monumens des ancêtres, riches de souvenirs nationaux et d’enseignemens historiques.

Ce sont eux que nous avons parcourus aujourd’hui. Tout le plateau rocheux qui domine Jérusalem au nord n’est qu’une vaste nécropole, doublant une carrière, comme il était d’usage dans l’antiquité. Les villes de l’ancien Orient avaient résolu d’une façon très pratique le problème si ardu qui s’impose actuellement à nos grands centres. En extrayant du sol les matériaux pour construire les demeures des vivans, elles leur substituaient les restes des morts ; les deux villes jumelles s’augmentaient ainsi dans une proportion constante, et chaque maison nouvelle qui s’élevait laissait une place correspondante dans la cité souterraine. M. de Saulcy a minutieusement décrit ces hypogées, dont les plus intéressans sont ceux dits « des Juges » et « des Rois ; » mais les attributions qu’il en fait aux rois de Juda sont au moins conjecturales : il est peu probable que l’histoire fasse jamais surgir de leurs ténèbres les noms des morts fastueux qui leur ont confié leur secret. Quels qu’ils fussent, ils avaient au plus haut degré le sens des choses funèbres. Il faut convenir que les Égyptiens et les vieux Asiatiques ont seuls su se faire de la mort une idée suffisamment sinistre et solennelle ; ces grandes bouches noires béantes qui dévorent les corps et les oppriment dans la nuit éternelle sous des montagnes de rochers sont tout à la fois le plus grandiose et le plus horrible des modes de sépulture. C’est d’elles que parlait l’Ecclésiaste quand il disait : « L’homme ira dans la maison de son éternité. »

Après une visite rapide à d’autres excavations de moindre intérêt, nous nous dirigeons vers la grotte de Jérémie, à une portée de fusil de l’enceinte. C’est dans cette caverne spacieuse que le prophète, suivant la tradition populaire, aurait été enchaîné et aurait composé ses lamentations. Malheureusement pour la tradition il nous dit lui-même (XXXVII, 15-18) qu’il fut jeté en prison par Sédécias dans la maison du scribe Jonathan. Parfois la nuit le roi venait chercher son prisonnier dans sa geôle pour lui demander avec une terreur inquiète : « Ta parole vient-elle de Dieu ? » — Aujourd’hui un santon musulman habite la grotte avec son âne, comme Balaam ; cet autre faux prophète remplace les élégies du voyant par les psalmodies nasillardes de la prière mahométane.

En tournant l’angle nord-est de la muraille, nous arrivons à la porte Saint-Étienne. Devant le poste de soldats qui la garde, nous rencontrons une scène amusante, fantaisie de Callot encadrée dans