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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/614

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improvisé, — qui a duré cinq mois, — celui qui n’avait été qu’un jour dans la politique est rentré dans l’obscurité, et j’ose dire qu’il y a aujourd’hui quelque chose comme une iniquité dans ce rapprochement que fait M. le comte Daru lorsqu’il dit dans son rapport : « Vous vous étiez demandé s’il était bien utile de traduire devant l’opinion tel soldat, brave, mais qui s’était trouvé comme ministre au-dessous de sa tâche, — tel autre, qui, d’abord porté aux nues, était tombé dans l’impopularité pour n’avoir pas réussi dans une œuvre aussi difficile que celle de la défense de Paris… »

C’est là une confusion qui ne répond à rien, qui n’est qu’un euphémisme de malveillance passant comme un jugement dans une enquête parlementaire. M. le maréchal Lebœuf peut être un soldat courageux, et il l’a montré à la tête de ses divisions dans les affaires de Metz, lorsqu’il n’a plus été qu’un chef de corps ; mais il est certain qu’il a dans cette funeste crise un rôle particulier, une responsabilité malheureusement des plus graves, qui ne se résume pas dans un mot jeté en courant ; il a cette responsabilité avec l’empereur Napoléon III jusqu’après les premiers désastres, dans l’organisation de nos forces, dans toutes les préparations de la guerre, dans la formation des armées, dans les plans de campagne, dans tout ce qui a décidé de la perte de la France. Il a marché plein d’illusions sur les forces de l’ennemi, sur nos propres ressources, sauf à laisser à d’autres l’héritage du commandement quand tout était perdu, et à couvrir sa retraite d’un mot : « je crois que lorsqu’un chef a été malheureux, son devoir est de se retirer. »

Qu’était-ce au contraire que le général Trochu dans ces cruelles circonstances qui sont aujourd’hui l’objet d’une enquête presque solennelle ? C’était un homme qui, depuis des années, ne cessait de répéter qu’on allait à une catastrophe par l’affaiblissement des principes et des mœurs militaires ; il avait écrit ce livre : l’Armée française en 1867, qui était une révélation et un avertissement. À peu près délaissé au début de la guerre, seul peut-être il démêlait la vérité, et dans ce testament qu’on s’est plu à railler, avant qu’un coup de fusil eût été tiré, il disait : « À l’égard de la guerre qui va commencer, je déclare ici qu’elle me donne de graves inquiétudes… Ce qui remplit mon âme de douloureux pressentimens, c’est que l’armée n’est pas aussi prête qu’on le dit à courir les hasards d’une telle entreprise. Sans doute elle vaut beaucoup, et de grands efforts ont été faits depuis quelques années ;… mais, reconnaissant que l’institution avait vieilli, on l’a troublée par de continuelles transformations de détail sans programme défini, sans plan d’ensemble. On a ébranlé le vieil édifice, on n’a pas construit le nouveau. Il y a beaucoup d’incertitude dans les esprits que