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la tradition et du droit historique. La différence, que l’on croit fondamentale, entre nos écrivains politiques et ceux de l’Angleterre semble donc tenir surtout à une différence de date et de situation.

Ce n’est du reste qu’indirectement et en passant que M. de Rémusat nomme et mentionne les écrivains politiques, son objet principal étant la philosophie proprement dite. À ce point de vue, l’une des parties les plus intéressantes de son livre est celle qui concerne ce groupe de penseurs que l’on a nommé l’académie platonicienne de Cambridge.

Quelle destinée que celle de Platon ! quelle puissance, quelle perpétuité d’influence et d’action ! Combien plus grande et plus durable cette puissance toute spirituelle que celle des conquérans et des despotes que le monde admire le plus ! Après avoir fondé à Athènes une école qui, plus ou moins transformée ou dégénérée, dure encore trois siècles après lui, son génie éteint quelque temps va se rallumer à Alexandrie, et, mis en contact avec la pensée orientale, rend encore cinq ou six siècles de vie à la philosophie grecque épuisée. Trois grandes écoles se fondent à Alexandrie : l’école juive, l’école chrétienne, l’école païenne, toutes trois inspirées de Platon. L’une d’entre elles, retournant à son berceau, revient à Athènes jeter encore avec Proclus un grand éclat, et c’est elle qui, chassée de la Grèce, va alimenter par ses savans commentateurs les écoles arabes et juives par lesquelles la philosophie doit revenir en Europe. Cependant au moyen âge le péripatétisme seul est le maître des écoles, et c’est lui qui domine dans la philosophie scolastique. Platon est oublié : ses ouvrages sont ignorés, sa langue n’est plus lue ; mais au XIVe et au XVe siècle Platon renaît, et avec lui la liberté de l’esprit humain. Une nouvelle académie platonicienne se fonde à Florence, protégée par les Médicis, présidée par Marcile Ficin, le grand traducteur, l’illustre commentateur de Platon. Au XVIIe siècle, ce mouvement, comme nous l’allons voir, passe d’Italie en Angleterre, et l’école de Cambridge rappelle, avec moins d’imagination, mais non moins de conviction, l’école de Florence. Au XVIIIe siècle, c’est en Hollande, dans la vieille et brumeuse université de Leyde, que nous retrouvons une nouvelle académie platonique. Le savant Hemsterhuys, Runken, le condisciple et l’ami de Kant, Wittenbach, l’un des maîtres de la critique moderne, van Heusde, le dernier représentant de cette savante école, sont tous animés de l’enthousiasme platonicien. L’érudition les avait conduits au platonisme. Antiquitatis amor me ad Platonem detulit, dit Runken. Mirificus me cepit et quasi daimonios amor Platonis, dit Wittenbach. C’est de cette école critique de Leyde qu’est né le grand mouvement de critique platonicien qui a rempli l’Allemagne depuis le commencement de ce siècle, et dont l’initiateur et le chef